C’est un livre pour les amateurs de Perec – le Perec qui classe, pense et observe, se fait scrutateur du temps qui passe. Comme son titre l’indique, La petite foule offre en effet une panoplie de portraits ou de situations qui relève du littéraire autant que du sociologique. On y est chaque fois dans une rue, un café, une maison, un bureau, tous ces lieux ordinaires où les humains se rencontrent, où certains s’affichent.

Avec son regard perçant et sans concession, Christine Angot les regarde à la loupe, les rendant plus vrais que nature. Parfois, il s’agit d’une simple esquisse : en une page ou moins, un être apparaît dans ce qu’il a de singulier et d’universel. À d’autres moments, on peut avoir l’équivalent d’une nouvelle brève, et c’est alors un petit monde qui surgit. Dans tous les cas, comme l’auteure, on observe le personnage en présence comme un cas, un objet d’étude.

On sourit souvent de son prochain. Car l’auteur n’a pas son pareil pour viser juste. Que ce soit la retraitée du textile, la motarde, le chauffeur de taxi, l’intellectuel décontracté ou le client des grands hôtel en passant par l’exilé, le dormeur, l’ancien pauvre ou le couple en visite, chacun est vu sous un angle qui révèle ce qu’il est intimement. Chacun lève le masque sous la plume de Christine Angot.

Tous ces êtres peuvent se découvrir dans une lecture de glaneur. Soit on lit de façon linéaire, tournant page après page, soit l’on s’invente son ordre propre. En fonction de l’humeur, on choisit, un peu comme on le ferait dans une foule : tiens, qui vais-je regarder ? Celui-ci ou celle-là ? L’intérêt du livre est que l’on peut choisir durablement, les personnages étant fixés à jamais sur les pages.

On peut être en somme comme la femme le matin. C’est peut-être le plus beau personnage du livre. Avant d’aller à son travail, nous raconte-t-elle via l’amie à qui elle se confie, elle choisit une personne dans la foule matinale et décide d’être elle durant le temps de son trajet en RER. C’est sa façon de supporter la vie.

La petite foule rend la nôtre grandement supportable. On s’y sent chez soi.

Isabelle Rossignol 
(26/05/17)