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Isabelle DESESQUELLES


Un jour on fera l’amour


Quel plaisir de retrouver l’écriture poétique, comme voilée par moments et cependant si précise et juste d’Isabelle Desesquelles. Un signe de reconnaissance depuis Les hommes meurent, les femmes vieillissent et l’année dernière, la lecture de Les âmes et les enfants d’abord, petit livre dense et touchant par sa note mélancolique de l’intime. Nous en avions gardé la musique originale dans l’oreille.
Ici, dès les premières phrases, si la musique est là, qui s’impose, la mélodie change, prend un autre rythme.

Isabelle Desesquelles propose une histoire à ses lecteurs. D’amour, de hasard, ou de destin ? Et pour commencer, elle nous présente les protagonistes, tout en nous laissant percevoir juste ce qu’il faut d’éléments pour susciter notre curiosité et l’entretenir par la suite. Et ce, fort habilement. Donc, Rosalie Sauvage et Alexandre.

Rosalie Sauvage est une jeune femme de « pas trente ans », venue habiter Toulouse « Sous prétexte de voir le ciel, après dix années à Paris », qui nous est montrée ainsi : « Elle préfère être à des années-lumière du temps qui passe, Rosalie Sauvage, source pour elle d’une mélancolie excessive à son âge. Pourquoi voit-elle systématiquement la flétrissure dans tout ce qu’elle observe ? Avide des premières fois, elle carbure aux commencements, hommes inclus »
Or, un jour, sans l’avoir prémédité, elle entre dans un magasin qui présente des robes de mariée et en essaie une. « Elle est bien cette robe bustier, elle accentue sa cambrure, le gigantesque miroir dédié à ces tenues et à leurs futures propriétaires est momentanément son meilleur ami. »
Le miroir qui va avoir un rôle important. Pour Alexandre.

Le chapitre qui nous le présente est titré ainsi : « Trente ans et le curriculum vitae amoureux d’un nouveau-né. »
Alexandre serait un romantique d’un genre particulier : « L’amour tel qu’Alexandre l’imagine ne peut qu’être souverain ; et il souhaite en retenir un calme, le laisser occuper la place, qu’il s’installe. »
Mais là encore, le hasard : Alexandre en revenant de faire des courses, est attiré par un mouvementet devient ce jeune homme qui « a le nez collé à la vitrine d’un magasin et tout son être est rivé au dos d’une femme devant un grand miroir , la nuque à découvert […] Il remarque le tissu plaqué à même les fesses, la cambrure flattée. Il soupçonne des voluptés. À suivre et à provoquer. D’elle, il ne voit que le verso, pourtant déjà il a ce désir de mordre son rire. »
Alexandre reste ainsi et regarde cette femme « Il ne parvient plus à s’extraire de toutes les promesses que ce dos pourrait contenir, et la buée sur la vitrine en atteste.»
Cependant ils ne se rencontrent pas. Pas encore.
 « Pourquoi s’est-elle enfuie alors qu’elle n’avait qu’un désir, qu’il la rattrape et l’attrape  ? Pourquoi aussi a-t-il fallu qu’il ferme les yeux ? »

Vont alterner alors, et en parallèle, des éléments sur le parcours de chacun, leur enfance, leur façon particulière d’appréhender la vie. Des caractères très différents, décrits avec quelques blancs qui resteront présents tout au long de notre lecture, nous amenant à réfléchir sur les personnages mais aussi sur le sentiment amoureux, sur l’amour, le vrai ou celui du cinéma. Car il est très présent dans cette histoire, et justement le Rosebud, ce cinéma de quartier qui a toujours fait partie de la vie d’Alexandre, constitutif même de l’éducation dispensée par son père, propriétaire de cette salle, où ils ont passé de longues heures à voir ensemble les films choisis. Son père est décédé et le cinéma qu’il lui a légué, a été vendu et va fermer. « C’est aussi ça la fermeture du Rosebud, perdre la chambre où il a toujours dormi ; l’affiche au-dessus de son lit, il la détachera avec plus de précautions que l’on en a pour une vierge, le papier punaisé avant sa naissance n’attend que de tomber en poussière, Gérard Philipe le beau jeune homme du Diable au corps, le suivra où qu’il aille ; même si ce soir il se fait l’effet d’un vieux jeune homme. »

Concernant Rosalie, à propos de son enfance, de sa famille, de ses amours, présentes ou passées, nous apprenons certains éléments qui nous éclaireront sur son caractère pendant les quelques mois où l’histoire se déroulera. Parfois agrémentés de quelques approximations qui vont entretenir suspense et interrogations. Rosalie serait-elle à un tournant de sa vie?

Viendront aussi des personnages qui partagent la vie de l’un, sont à côté de l’autre, Marc, le camarade de toujours d’Alexandre, sa femme, et qui pourraient intervenir, voire interférer sur le déroulement de l’aventure.

Et il y a ces titres de chapitres que l’autrice nous indique, pour nous guider sur l’essentiel du moment, à lire ou à comprendre.
Parce qu’Isabelle Desesquelles écrit ainsi, que son écriture va droit, s’adresse à nous. Qu’elle nous surprend et jusque dans cette forme particulière, sorte de combinaison de vocables poétiques, venant soudain s’accoquiner avec des termes crus dans un rythme qui s’accorde parfaitement aux propos. Mais même si le vocabulaire paraît alors s’encanailler, il finit toujours par nous laisser cette douceur en bouche, ou plutôt en oreille.
Alors si nous nous laissons emporter par cette histoire, d’une apparente légèreté, peut-être nous ferons-nous une meilleure idée d’un romantisme contemporain ?
« Elle est là à cinq mètres devant moi et quelque chose me souffle qu’elle est la femme de ma mort parce que c’est ça, non, la femme d’une vie ? »
Prenons ce plaisir de lecture, et savourons-le.

Sans oublier de consulter à la fin du livre le programme du Rosebud d’Alexandre, un petit retour sur souvenirs de quelques chefs- d’œuvre ne faisant pas de mal…

Anne-Marie Boisson 
(22/02/17)    



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Belfond

(Janvier 2017)
224 pages - 18 €










Isabelle Desesquelles,
a déjà publié une dizaine de livres et fondé une résidence d'écrivains, la maison De Pure Fiction.









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