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Gaston-Paul EFFA


Le miraculé de Saint-Pierre




C'est un livre fascinant et bien complexe que Gaston-Paul Effa nous offre ici.
Avec plusieurs histoires qui s'y croisent, de l'éruption de la montagne Pelée en 1902 avec son « miraculé » Louis-Auguste Cyparis, au destin de  Raphaël Élizé, vétérinaire martiniquais,  premier maire noir d'une ville de France métropolitaine, résistant arrêté puis déporté à Buchenwald en 1944 évoqué dans un livre précédent (Rendez-vous avec l'heure qui blesse), avec la présence de l'auteur lui-même accompagné d'une de ses lectrices venue des Caraïbes et vivant en France qui fait lien entre ces différentes histoires, c'est plus d’un siècle et divers continents que le lecteur traverse ici. 

Dans ce livre puissant, touffu, qui nous parle des Noirs, des opprimés, des esclaves et des martyrs mais aussi de l'écriture, du travestissement de la biographie historique pour se dire soi-même ou ses questionnements quand on est un auteur,  Séraphine Fournier, qui se sent héritière de la véritable histoire d’Élizé comme de Cyparis, sert à la fois de catalyseur et de détonateur.
Le livre quitte alors l'Histoire pour aborder les terres de la philosophie et de la religion, de la nature et de la vérité, de l'amour et du bonheur malgré l'adversité, dans un duo assez exceptionnel avec l'auteur devenu personnage de son propre roman.

Le personnage de Cyparis  – dont le « nom venait du Congo de ses ancêtres. Son ethnie d'origine vendait des esclaves  et, pour plus de discrétion, une pancarte posée par le chef du village indiquait aux acheteurs ''par ici'' et ceux qui n'avaient pas appris à lire se murmuraient ''cyparis'' pour désigner la famille des traîtres » –  était un voyou.  Mais comme survivant à la catastrophe qui fit  plus de 30 000 victimes, protégé par son enfermement dans le cachot souterrain de la prison, il devient pour la population qui vient le visiter à l’hôpital « le miraculé », doté de pouvoirs de guérison. Alors l'homme aux multiples cicatrices fuit la sanctification pour se retrouver « phénomène » de cirque, voyageant des Caraïbes aux États-Unis pour aboutir finalement comme ouvrier au Panama.

Si Cyparis domine  le roman puisqu'il en est l'élément central comme « sujet », ses extraordinaires aventures  ne semblent que servir de point d'ancrage et de départ aux réflexions sous-jacentes développées par l’écrivain et son amie passionnée et provocatrice Séraphine. Et celle dont nous ne connaîtrons le secret qu'à la toute fin du roman, n'est-elle pas, tout compte fait, le pivot de cet étrange roman ?

Un livre inclassable, entre effroi et volupté, nature, magie et humanisme, qui parvient à nous immerger dans cette douloureuse histoire de la malédiction qui a frappé les Noirs de l'esclavage au racisme (avec d'assez belles pages notamment sur le blues), tout en nous permettant de pénétrer de l'intérieur le processus de la création littéraire.

Et si la lecture de ce roman peut initialement s'avérer déroutante, il mérite de s’obstiner. Quand la rationalité du lecteur lâche prise et qu'il se laisser embarquer dans la profondeur de ses strates successives, Gaston-Paul Effa lui propose alors la découverte, très loin de nos sentiers battus et rebattus, d'un ailleurs qui pourrait bien éclairer autrement notre présent tant il parle superbement de l'homme, de sa liberté et son destin.
« Tout est en dedans de nous, dans le regard qui ramène tout de l'extérieur vers l'intérieur. »
« La vie elle-même est l'or que nous cherchons parce qu'elle possède en elle le tout et la liberté de choisir ce que nous voulons être. » 

Une belle découverte.

Dominique Baillon-Lalande 
(22/03/17)    



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Lectures










Gallimard

Continents noirs
(Février 2017)
240 pages - 16,50 €








Gaston-Paul Effa,
né au Cameroun en 1965, professeur de philosophie, a déjà publié
une vingtaine de livres.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia




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