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Teodoro GILABERT


Je transgresserai les frontières

Je m'appelle Zangra et je suis lieutenant
Au fort de Belonzio qui domine la plaine
D'où l'ennemi viendra qui me fera héros
(Jacques Brel, Zangra)

« Je transgresserai les frontières », la devise d'Aldo Aldobrandi, le héros du roman de Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, devient le titre du roman de Teodoro Gilabert qui rend un hommage impertinent au maître, professeur de géographie comme lui.

Le jeune Aldo Brandini, tout en se sentant héritier de l'Aldo Aldobrandi de Gracq, ne dit-il pas que sans la dédicace énigmatique écrite, croit-il, par son père, « Pour que tu saches d’où tu viens », il ne serait peut-être pas allé au bout de « ce Rivage » où « il ne se passe rien ». Jolie créature de fiction qui doit son existence à deux écrivains !

Dans mon souvenir, dès la parution du Rivage des Syrtes un halo de mystère et d'adoration a entouré le livre. On se le prêtait religieusement, enviant celui qui avait eu le privilège de découper les pages que Corti, l'éditeur, laissait scellées. Et, comme le héros de Gilabert, on glosait à l'infini sur cette ville d’Orsenna qui ressemble tant à Venise, sur ce rivage au nom si évocateur et bien sûr sur les mots en italique ! Et comme dans la chanson de Brel, comme dans Le désert des Tartares de Buzzati ou Sur les falaises de Marbre de Jünger, textes que je mélange allègrement dans mon souvenir, « l'Attente » que quelque chose se passe se fait douloureuse. Cette attente, comme le désir amoureux jamais comblé, la soif jamais assouvie, la fièvre jamais éteinte, n’est pas le moindre des charmes du roman de Gracq. Gilabert prend avec humour le contre-pied de ce « rien » et précipite son héros dans l'aventure : la période est datée, les lieux situés, l'amour et l'ennemi lui sautent dessus et en digne héritier d'une longue lignée du « Quai d'Orsay » l'Aldo moderne va résoudre l'enquête qu'il mène sur ses grands-parents paternels : un Italien fasciste et une belle « espionne » libyenne !

Le Rivage des Syrtes sert de pré-texte à un roman qui, tout en ayant l'air d'être son « opposé », (il débute en 1981 avec le conflit Américains / Kadhafi et se termine en 2016 en pleine débâcle de daech dans Syrte) nous y renvoie sans cesse.
« Il avait étalé des livres et des atlas sur une grande table pour m'offrir une synthèse géopolitique sur la Libye. Un des cubes de la maison constituait son bureau, offrant une vue imprenable sur le golfe de Syrte. Comment ne pas penser à Aldo Aldobrandi dans la salle des cartes ? Simple coïncidence ou habile mise en scène ? »

Gilabert en mêlant conflits militaires, amour, nostalgie, références littéraires, a créé un cocktail qui explose dans les mains de son héros : les révélations qu'il découvre sur ses origines sont renversantes, à l'image de l'actualité !

Alors on n'a qu'une envie, replonger dans « l’a-temporalité » du Rivage inventé par Gracq où jamais aucun État Islamique n'abordera même si le nouvel Aldo peut en dire : «  Je pouvais toutefois retenir la permanence des conflits dans cet espace, des guerres larvées ou non, de l'importance de la diplomatie et du problème des frontières. Le personnage fictionnel Aldo Aldobrandi – et sa devise "Je transgresserai les frontières" – s'incarnait à travers le siècle, de mon grand-père à moi, en passant par Pierre, et toujours dans ce même lieu, que nous contemplions des baies vitrées, le rivage des Syrtes. »

Sylvie Lansade 
(13/07/17)    



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Buchet-Chastel

(Avril 2017)
272 pages - 16 €










Teodoro Gilabert,
né en 1963 à Valence,
en Espagne, professeur d’histoire et géographie
à Pornic, est l’auteur
de cinq romans.