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Hubert HADDAD


Premières neiges sur Pondichéry



Les romans d’Hubert Haddad nous font voyager, pas à la manière d’un tour-operator traversant les lieux touristiques au pas de course, mais en profondeur, dans l’histoire et l’âme du pays, en donnant du temps au temps, en multipliant les sensations de tous ordres et en rencontrant des personnages émouvants qui nous font partager leurs joies, leurs passions ou leurs souffrances. Après la Palestine, l’Afghanistan (Opium Poppy), le Japon (Le peintre d'éventail et ) ou les États-Unis (Théorie de la vilaine petite fille), nous voici maintenant en Inde du Sud, à Chennai (ancienne Madras), Pondichéry et Kochi. Nous y vagabondons avec un vieux violoniste israélien et une jeune musicienne indienne, dans une vieille Ambassador, sans hésiter à traverser les montagnes qui séparent les villes.

Hochéa Meintzel est un Israélien pacifiste, déçu par la voie empruntée par les dirigeants du pays. Violoniste de renommée mondiale, il avait exprimé publiquement ses idées à un colloque de la Hebrew University de Jérusalem. « Juifs ou Palestiniens, la haine est un suicide. Nous sommes une même âme, un même chant d’avenir. » Il avait reçu des injures, des lettres de menaces, les gens se détournaient sur son passage...
Et puis, il y avait eu l’attentat. Il était dans le bus avec Samra quand un kamikaze bardé d’explosifs s’est fait exploser. Samra était comme sa fille. « Des semaines ou des mois à l’hôpital, dans une semi-inconscience, il s’était convaincu de la survie de Samra. Elle viendrait bientôt à son chevet, il ne pouvait en souffrir le doute une seconde. » Cela faisait maintenant vingt-sept ans...

Lassé, fatigué, isolé, perdu dans un pays qu’il ne comprend plus, Hochéa Meintzel a choisi de quitter (définitivement ?) Jérusalem. Il a accepté l’invitation du Festival de musique carnatique de Chennai en Inde du Sud où il est accueilli, dès les premières pages du roman, par une jeune musicienne, Mutuswani, pour qui le vieil homme est un mythe vivant dont elle admire la virtuosité. C’est elle qui va lui servir d’interprète et l’accompagner dans tous ses déplacements. Elle est jaïniste (« Une jaïna émancipée mais on n’échappe pas à trois mille ans de régime herbivore et d’oubli de soi »)  tandis qu’Azraq, le chauffeur du taxi,  est musulman...

En alternance avec les aventures et réflexions de ces trois personnages, si différents mais enfermés dans la même voiture pendant des heures et même des jours, nous découvrons ce qui se passe dans la vieille synagogue de Kochi où plusieurs  personnages hauts en couleur sont réunis. Chamindû, le bedeau octogénaire, fils d’esclave noir ; Joseph Nathrayeesan, le hazzan bègue ; Baba Salé Marayasham, le patriarche ; Rahabi, ancien guide touristique ; Ycha Devea que ses proches prétendent fou ; Ben Ishmaïel, le parfumeur ; Sarmad, le brocanteur ; Dätan, ancien maître de forges, et Nathaniel « le sourd-muet loquace toujours à gesticuler ». De chapitre en chapitre, parallèlement aux déplacements d’Hochéa Meintzel, nous allons entendre, dans la synagogue de Kochi, des récits évoquant le royaume mythique de Crangamore et l’histoire des Juifs venus s’installer en Inde.
« On raconte que dans le monde entier, les juifs ont subi d'épouvantables persécutions et qu'Israël, depuis le jour de sa naissance, n'a pas arrêté d'être en guerre avec ses voisins. Ici, à part les envahisseurs d'Arabie ou du Portugal, personne ne nous a jamais voulu de mal, nous sommes des Hindous parmi les Hindous, comme les musulmans, les chrétiens ou les sikhs. On a vécu simplement, nul ne nous a tourmentés, nous avons été de bons citoyens. Pourquoi, pourquoi sont-ils tous partis, les Pardesi et les Malabari, les Bagdadi de Calcutta, les Bnei Menashe, ceux de Goa et de Bombay ? N'y avait-il pas ici de quoi vivre heureux ? On ne trouve jamais le bonheur loin de sa maison d'enfance... »
Pour la prière du Kaddish, il faut être dix et, dans la synagogue de Kochi, ils n’étaient que neuf. Qui donc est le dixième à qui ces récits sont destinés ?

Encore une fois, Hubert Haddad nous embarque dans un fabuleux voyage qui ne dure pas mille et une nuits mais y fait parfois penser, avec des récits dans le récit, des orages et des ouragans, une Shéhérazade nommée Mutuswani et la recherche d’une histoire ancestrale dans l’Inde d’aujourd’hui. On se laisse porter par les images et la beauté de l’écriture, on découvre des personnages attachants dans des lieux enchanteurs, même si la violence du monde est toujours là, en filigrane, avec ses guerres, ses attentats et ses viols. Le bruit et la fureur alternent avec la beauté et la tendresse, avec le message de paix du vieux violoniste. Et la musique, klezmer ou carnatique, issue du ghetto de Lodz ou de la tradition indienne, participe à la création d’un univers sensoriel comme l’auteur en a le secret. Encore un grand livre pour prolonger un parcours d’une richesse déjà exceptionnelle.

Serge Cabrol 
(18/01/17)    



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Zulma

(Janvier 2017)
192 pages - 17,50 €






Hubert Haddad,
né à Tunis en 1947,
est l'auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages dans tous les genres : poèmes, nouvelles, récits, romans, essais, théâtre, jeunesse...

Bio-bibliographie
sur le site de l'éditeur :
www.zulma.fr




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