Retour à l'accueil du site





Gil JOUANARD

Les roses blanches


Le parcours rocambolesque d'une femme née en 1913 dans la campagne du Gévaudan, une "Cosette" placée à huit ans pour garder les moutons avant de faire des ménages en ville à la vingtaine. L'enfant devint une jeune fille pas très gracieuse, « trapue, courte sur pattes » mais qui « disposait d'une telle vitalité, d'un tonus si extraverti, d'un goût si prononcé pour la rigolade qu'elle cessa vite de rester inaperçue ». Paul, un boulanger, bel homme, boute-en-train, militant cégétiste ne s'y trompe pas. Par son intermédiaire, elle rencontrera l'amour et prendra conscience de la lutte des classes, suivra les grandes grèves de 36 et rêvera d'un monde meilleur. 
« L'accord entre Juliette et Paul, au moment où ils avaient décidé de s'unir l'un à l'autre [...] portait sur divers aspect de la vie en général,  ainsi que sur le partage de quelques convictions fermes : "Dieu n'existe pas ou c'est un salopard narcissique et cynique" , "les patrons sont tous des profiteurs et majoritairement des exploiteurs", "la famille est un panier de crabe",  "les hommes politiques des pourris et des parasites", "l'armée est constituée d'un ramassis d'incapables aisément convertis si l'occasion s'en présente en tueurs à gages", "les fonctionnaires cumulent paresse, veulerie, sadisme et inaptitude généralisée". »
Mais, malgré ou à cause de la naissance de leur fils, Juliette autoritaire et suspicieuse, s'avère vite invivable. La guerre permettra au couple de signer une trêve. Juliette contente « qu'il se passe enfin quelque chose d’intéressant puisque le trio familial faisait sécession, partait à l'aventure, vivait enfin une situation hors du commun », a un regain de fierté et d'amour pour son époux mais cela ne leur évitera pas un divorce pour infidélité du mari un peu plus tard.

Mais Juliette est pleine de ressources, ne tient pas en place et son histoire est riche de rebondissements. Quelque temps après, son goût de l'aventure la conduira au « Far-East » auprès d'un soldat américain avec lequel elle avait entretenu par le plus grand des hasards une correspondance de guerre. Plus tard, ayant repris son fils à son retour en France mais à l'étroit dans sa petite vie solitaire de femme de ménage, elle part au fin fond de l'Allemagne avec un ancien prisonnier de guerre, un homme honnête et gentil, très amoureux de sa Française et sous son entière domination. Le fils suivra et une fille viendra outre-Rhin agrandir la famille.
Tout cela avec des allers-retours réguliers plus ou moins longs dans l’hexagone, sujets à des épisodes mouvementés, alors que Juliette se durcit dans ses principes et ses frustrations. 
 « Il semblait que sa rage ait eu pour origine le constat, fait par elle-même que la révolution n'était, une fois de plus, pas allée jusqu'à son terme et le pire de ce qu'Ils avaient fomenté contre les pauvres gens depuis la nuit des temps restait scandaleusement à l’œuvre ». Alors « sa faconde devint du bagou, puis à jet continu une anthologie jamais close de cinglantes réparties, de rudes affrontements verbaux. Ces mots qui lui avaient si longtemps fait défaut sortirent soudain du néant ; son vocabulaire se fit revendicatif, contradicteur, insolent. Puis hélas se mit à radoter, à effectuer des tours sur lui-même. »

Un roman exceptionnel qui n'est pas où on l'attend. S'il y a sans conteste admiration et tendresse du fils pour la mère, ce roman ne correspond pas à la typologie des roman familiaux et de l'autobiographie mais glisse très vite au roman social, politique, historique d'une part et au roman d'aventures par le biais de ce personnage hors du commun prêt à tout, aux voyages à l'étranger les plus improbables comme aux approches les plus cocasses des situations familiales et quotidiennes.
Atypique, anarchiste et pasionaria dotée d'une idéologie à l'emporte-pièce, férue d'ordre et extravagante, avec la sévérité et la dureté du  granit, envahissante, singulière, et romanesque à la fois, cette mère hors du commun à la fois exceptionnelle, pathologique et pathétique rêvait d'une autre vie qui lui fut refusée.
Avec humour et affection mais aussi avec distance, l'auteur prend alors son personnage avec suffisamment de neutralité et de distance pour l'inscrire dans l'Histoire et en faire un exemple de son époque et sa condition, sur fond de lutte de classes et de misère économique et culturelle, lui conférant une portée universelle. 

Avec une écriture souvent savante, truffée de parenthèses qui déstructurent les phrases et cassent le rythme et de références nombreuses et goûteuses, poétique ou populaire suivant les moments, emportée par un souffle quasi épique,  l'auteur dresse le portait de ce personnage haut en caractère et en couleur sans le faire basculer du côté de la caricature mais en  l'érigeant en archétype de son époque et son milieu.

On s'attache à cette Juliette autoritaire, intransigeante, grande gueule, injuste, dominatrice que la terre collée aux sabots et son manque d'éducation et de beauté n'empêchent pas de se précipiter à corps perdu, sans réflexion mais avec audace, à la poursuite de ses rêves et ses désirs, à se jeter tête baissée dans les aventures les plus romanesques et les plus folles. Une héroïne pleine de vie, de paradoxes, dotée d'une énergie et d'un caractère hors norme que l'auteur, son fils (et pourtant la femme n'a pas dû être une mère facile), parvient avec fascination, tendresse et humour à restituer à la fois comme une victime de sa condition et de la société et comme un être d'exception, sans peur faute d'être irréprochable, sans culture mais pas sans intelligence, et finalement romanesque en diable.
Le manque de mots et de culture l'a fait se rigidifier autour de principes et de postures et les différentes langues apprises avec facilité lors de ses voyages lui ont fait prendre l'accumulation de vocabulaire pour la pensée. La façon dont cette femme solide comme un roc se fissure au fil des pages en sauvant toujours les apparences et en refusant même de l'admettre, est finalement émouvante.
Ce texte à la fois intime et foisonnant de références historiques et culturelles,  émouvant et drôle, habité et pudique, est autant un roman d'aventures cocasses prédestinées à l'échec qu'une histoire de vie. Un livre érigé comme un ultime tombeau à la mesure de cet être insupportable animé d'une prodigieuse rage de vivre qui fut aimé et force quoi qu'il en soit l’admiration.
Une belle découverte.

Dominique Baillon-Lalande 
(16/01/17)    



Retour
Sommaire
Lectures









Phébus

(Août 2016)
320 pages - 22 €













Gil Jouanard,
né à Avignon en 1937, poète et romancier,
a publié plusieurs
dizaines d'ouvrages
chez divers éditeurs.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia