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Gustavo Sanchez Sanchez, dit « Grandroute », est un être étrange et déterminé qui sait déchiffrer les dictons des gâteaux chinois et magistralement travestir la triste réalité. Au fil du texte, Sanchez explique avec autant d'humour que d'autosatisfaction comment il en est venu à exercer ce métier, théorise sa pratique et finit en apothéose avec le récit de sa dernière vente effectuée à la demande d'un curé dans une église pour renflouer les caisses. Il y mettra aux enchères ses propres dents (qu'il s'est fait arracher pour les remplacer par celles de Marylin Monroe) les faisant passer pour celles de personnages plus illustres les uns que les autres (Platon, Pétrarque, Rousseau, Virginia Woolf, Borges ou Enrique Vila-Matas...) jouant avec ses savoureux récits sur la fétichisation et la fascination pour la célébrité. Malheureusement la présence à cet étonnant spectacle de ce fils qu'il a peu connu et perdu de vue depuis longtemps va l'amener à commettre des erreurs et faire déraper son destin. Vengeance ou affection filiale, ce dernier souhaite « acheter son père en entier »... Tout se dénoue dans le dernier chapitre lorsque Grandroute cesse de raconter son histoire et qu'un nouveau personnage prend la parole. Subitement tout s'éclaire et prend sens et l'on comprend à quel point nous avons été bluffé. Dans la postface l'auteur contextualise l'écriture de son roman. Celui-ci issu d'une commande de l'usine Jumex qui a la particularité d'avoir en son sein une importante collection d’art contemporain est présenté par l'auteur comme un « essai-roman » collectif ». Valeria Luiselli intéressée par ce challenge de concilier deux éléments aussi opposés que Galerie et Usine a donc choisi pour faciliter la transmission la forme dynamique du feuilleton lu à haute voix sur place comme cela s'est longtemps fait à Cuba pour les ouvrière des manufactures de tabac. Reprenant ensuite son texte à la lumière des réactions des prolétaires auditeurs qui lui étaient retournées, elle est parvenue sans compromis à transformer cette confrontation inhabituelle en une collaboration fructueuse.
L’histoire de mes dents est une œuvre circulaire construite en sept chapitres où chacun modifie l’esprit et le contenu du précédent tout en composant un ensemble cohérent. Un choix qui permet à l'auteur de déstabiliser le lecteur par un délire verbal souvent hilarant pour mieux l'engluer dans sa toile jusqu'à son magistral dénouement. Inspiré par des auteurs comme Enrique Vila-Matas, figure tutélaire de la jeune écrivaine mexicaine demeurant à New-York, ce roman hybride et à double-fond nous entraîne sur les chemins de la rhétorique ou dans une farce loufoque et rocambolesque avec le même humour irrésistible. Il oscille entre la parabole et l'allégorie sur les pouvoirs de la fiction et la valeur de l'art ou des éléments du quotidien dans un texte non linéaire à l'absurdité assumée. L'histoire de mes dents est aussi un roman d’aventures picaresque dans la lignée du Don Quichotte de Cervantès avec des histoires imbriquées les unes dans les autres et un personnage à la Sancho Pança qui transforme la réalité et se construit au gré des péripéties une destinée fantasque et solitaire. « Quand le vent tourne, certains construisent des murs, d'autres des moulins à vent. » Un roman original dans sa structure, sa présentation et son histoire, inventif, ludique, déjanté et séduisant,qui, s'il s'avère follement réjouissant une fois notre rationalité laissée sur le bas-côté, cache derrière sa légèreté apparente de profonds questionnements. Dominique Baillon-Lalande (12/10/17) |
Sommaire Lectures L'Olivier (Août 2017) 192 pages - 19,50 € Traduit de l’anglais par Nicolas Richard
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