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Pascal MANOUKIAN

Ce que tient ta main droite t'appartient


Charlotte une jeune commerciale née dans une famille de chrétiens d’Arménie et Karim monteur-truquiste pour la TV issu d'une famille algérienne musulmane forment un couple heureux qui s’apprête à avoir leur premier enfant.
Si elle n'était pas sortie ce soir-là pour fêter sa grossesse avec ses amies d’enfance, s'il ne l'avait pas laissée seule le temps d'étudier avec l'Imam qu'il pratique peu la possibilité d'une double bénédiction pour l'enfant à venir, leur histoire n'aurait pas brutalement sombré dans le chaos.
Mais ce soir-là, Aurélien d'Aubervilliers, un bon élève sans problème dont la vie a basculé à la mort de son père puis de sa sœur, s'est rendu avec son complice au bar où les filles riaient, ceinturé d'explosifs et armé d'une kalachnikov. Le bilan est sévère : 38 morts et 42 blessés. Charlotte ne rentrera plus. 
« Au courrier du matin est arrivé le résultat de la dernière échographie. Karim a posé la lettre sur la table basse sans l'ouvrir et la regarde assis sur le canapé. Le savon d'Alep encore humide dans la salle de bains [...] les pulls moelleux alignés sur l'étagère comme des hirondelles, le pense-bête pour le gynéco sur le frigidaire [...] Elle n'est plus là mais il reste des traces d'elle partout. [...]À la télé, on ne parle déjà presque plus des attentats. Les criquets se sont rabattus sur Lampedusa, où s'agglutinent des milliers d'échoués et où se noient, sans bruit, des centaines de Charlotte. [...] Ses doigts déchirent l'enveloppe. [...] C'est une échographie 3D, insoutenable. Il ne lui manque que la respiration. [...] Isis aussi lui laisse une trace. » 
 
Karim ne peut se résoudre à cette perte et frappé de plein fouet par l'horreur il cherche à comprendre, comment, pourquoi, cette violence aveugle. D'autant qu'il a reconnu aux informations télévisées dans les deux meurtriers un des jeunes gens qui gravitaient autour de l'Imam à la mosquée et un ancien élève de sa classe.  Alors, après l'enterrement, il s'invente un voyage professionnel à New York pour se lancer  par le Net sur les traces des réseaux d'embrigadement de Daesh et débusquer les vrais coupables de ce massacre.
Après une prise de contact anonyme bien plus simple qu'il ne le pensait, il décide d’attaquer le mal à la racine en allant jusqu'à se faire passer pour un  de leurs adeptes et partir en Syrie.
Les candidats ne manquent pas. C'est avec « une ado prête à passer de Candy Crush à Call of Duty, Mohamed Ali qui lui préfère la guerre à la mixité, une mère qui va bientôt faire jouer son enfant dans les ruines » que celui qui se décrit comme « un canard sans tête », voyagera.L’État islamiste a tout organisé pour eux, pratiquant «  la bonne vieille technique du coucou : squatter le nid d'un autre. Détourner au profit du mal toutes les inventions destinées à faire du bien. S'échanger des recettes de bombes sur des forums de jeux vidéo, échapper au flicage des hôtels en louant des planques sur Airbnb, covoiturer pour se fondre au milieu des messieurs et mesdames tout-le-monde, lever des fonds grâce à de faux projets sur des plateformes de crowdfunding, faire circuler l'argent par Western Union. C'est toute l'intelligence de Daesh, se servir de celle des autres en la détournant. »
Parvenu sur place, Karim ira jusqu'au bout. Après avoir subi l'entraînement apte à décerveler, mater  et fragiliser les nouvelles recrues, confronté à la corruption et à l'omnipotence délirante des chefs, immergé dans un climat de peur et de violence permanente  (combats, meurtres, viols), il sera  affecté à la propagande audiovisuelle. Un poste stratégique idéal pour démonter les mécanismes qui sous-tendent l'organisation et parvenir à mettre un nom sur le commanditaire du terrorisme de masse et de l'assassinat de Charlotte….

Dans ce récit documenté avec précision et pourvu au-delà du réalisme des descriptions d’un point de vue historique et politique, l'expérience d'ancien journaliste-reporter de l'auteur se devine aisément. Et, à travers les divers personnages côtoyés par Karim,  c'est dans les strates vives du terrorisme islamiste de Daesh et leurs rouages que le lecteur est, avec horreur et dégoût, immergé.
Mais au-delà de cette confrontation brutale ce sont aussi les techniques de recrutement via les réseaux sociaux sur Internet et la nature des recrues que Pascal Manoukian décortique : « Trouver les frustrations, c'est s'ouvrir les portes les mieux verrouillées. Tous les gourous savent ça. [...] Tout l'art consiste à faire accepter le premier pas. Il est fatal. Il éloigne de tout, coupe du monde, de la famille, des repères, du retour aussi. C'est comme ces pièges à guêpes en entonnoir. Elles y entrent et ne savent pas en sortir. ». Ne reste ensuite à la machine en place qu'à détruire l'humain en chacun des "volontaires" pour mieux le soumettre puis à l'endoctriner suffisamment pour le décerveler et le transformer en robot. La démonstration est effrayante mais Pascal Manoukian ne s'en contente pas, pointant aussi du doigt la responsabilité de notre société occidentale en faillite qui, par son manque de perspective, par sa soumission au dieu Argent, par la marginalisation des plus faibles de ses membres, par les frustrations qu'elle génère, grossit les rangs des candidats.

Le sujet est passionnant et l'aborder est salutaire mais Pascal Manoukian, au-delà du reportage, fait  ici également acte littéraire en incarnant littéralement son histoire par le personnage de Karim, en lui imprimant un rythme soutenu qui, en jouant des rebondissements, de la tension et du suspense comme dans un roman noir, parvient malgré l'horreur à nous tenir en haleine et nous faire espérer une issue positive pour le jeune monteur. Un subterfuge indispensable sans lequel cette lecture serait par moment tout simplement insoutenable.

C'est un récit on ne peut plus ancré dans l'actualité, dressant un tableau terrible des dessous du terrorisme islamiste, avec ses monstres et les égarés qu'ils manipulent, où les terroristes et leurs innocentes victimes se retrouvent pareillement réduits au rôle de pions sur un échiquier plus géopolitique que religieux où s'amusent des fous ivres de puissance, que Pascal Manoukian nous livre ici. Une façon efficace de nous ouvrir les yeux sur ce qui se cache derrière ces drames dont nous sommes tous les otages. Un espoir aussi, à partir des clefs fournies, d’accroître  la connaissance de ce fléau pour mieux l'éradiquer.  

Dominique Baillon-Lalande 
(10/01/17)   



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Lectures








Don Quichotte
(Janvier 2017)
288 pages - 18,90 €



Points

(Janvier 2018)
272 pages - 7 €













Pascal Manoukian,
ancien reporter de guerre et directeur de l’Agence Capa, a publié Le Diable au creux de la main, un récit sur ses années de guerre et, en 2015, Les échoués, son premier roman.







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le premier roman de
Pascal Manoukian :


Les échoués