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Michèle AUDIN


Comme une rivière bleue


Dans un chapitre de son Histoire de la Commune de 1871 intitulé Paris la veille de la mort, Prosper-Olivier Lissagaray recevant un ami qui s'interroge sur la 'vérité' de la situation dans Paris lui dit "Eh bien ! Venez fouiller dans tous les recoins de la caverne." Et Lissagaray guide cet ami  dans tous les quartiers de Paris. Long cheminement, observation méticuleuse et fraternelle des faits et gestes des habitants qui ne pensent pas encore à la défaite.

Presque un siècle et demi plus tard le narrateur de Comme une rivière bleue a refait le chemin, un chemin beaucoup plus long  puisqu'il commence le 26 mars 1871, toujours en compagnie de Lissagaray mais aussi de bien d'autres acteurs de la Commune, acteurs connus (Vallès, Flourens, Varlin, Delescluze...) ou moins connus (Longuet, Vapereau...) mais aussi des anonymes, des communeux 'ordinaires' (couturières, institutrices, cordonniers,  ciseleurs...).

Bien qu'imaginaires, les rencontres, les dialogues, les amours entre les différents personnages de la Commune s'appuient sur une importante documentation historique et un travail d'archives effectué par l'auteur, ce qui donne du corps et de la crédibilité à l'histoire. Par exemple, le lecteur est particulièrement heureux – et curieux – de rendre visite à la famille Marx à Londres et de pénétrer dans le quotidien de sa vie et de ses préoccupations politiques et matérielles...

 Remarquablement construit, ce livre donne le 'pouls' de la Commune au jour le jour pendant les 72 jours qu'elle a duré mais aussi le 'pouls' du narrateur en proie à ses recherches d'archives, à ses réflexions au cours de ses cheminements dans ce qui reste du Paris de 1871, à ses clins d'œil au présent. Du coup le lecteur assiste à la fabrication du  livre et est entraîné dans la fougue, la joie, les débats, la tragédie de 1871 mais invité aussi à la réflexion sur le temps présent, par exemple ce 28 mai 1871 où la Seine est rouge de sang,

« De ce même pont sans doute, (Le Pont Neuf) des manifestants algériens ont été jetés le 17 octobre 1961. Combien, on ne sait pas non plus. La répression à Paris, les morts et les disparus de la guerre ici et en Algérie, sont aussi des suites de cette histoire. Nous venons d'assister au cours de la Semaine sanglante, à une extraordinaire invention de M. Thiers et de ses complices : à l'armée sont conférés tous les pouvoirs de police. On a déjà expérimenté la chose, en miniature, lorsque la troupe a été requise contre les ouvriers de M. Schneider en grève au Creusot en janvier 1870. Mais à l'échelle d'une ville comme Paris, c'est la première fois. Ce n'est pas la dernière. Penser à la bataille d'Alger en 1957. Je ne lâcherai pas cette allusion sans signaler deux ou trois autres ressemblances. La description des prolétaires parisiens, ces pauvres misérables, sales, affamés, chétifs, difformes, vulgaires, illettrés – "Paris au pouvoir des nègres", écrit Daudet – n'évoque-t-elle pas les "indigènes" ? »

L'épilogue tragique et sanglant de la Commune de Paris ne donne pas pour autant un ton larmoyant à ce livre. Loin de là ! Il y a beaucoup d'humour et des descriptions jubilatoires comme par exemple la cérémonie du 'déboulonnage' de la colonne Vendôme : « A trois heures et demie, l'échafaudage est démoli. Les deux chèvres immenses sont écartées – ces chèvres sont des grues, n'en déplaise à la zoologie. Le clairon sonne. – Non, c'est pas l'clairon, c'est M. Courbet qui s'mouche, lance un gamin. » « Le sol est à peine ébranlé, tandis que le jean-foutre Bonaparte premier, dans son ridicule déguisement d'empereur romain, chemise et caleçon, salue le peuple, s'incline et tombe lui aussi. Il se démet l'épaule droite et son bras homicide se détache du tronc. Sa tête a la grâce de rouler comme un potiron dans le doux lit de fumier que l'on a disposé là pour l'accueillir. »

Bref, un grand livre qui restitue fraternellement l'âme de la Commune. Lissagaray ne pouvait trouver meilleure écrivaine que Michèle Audin pour l'accompagner !

Yves Dutier 
(07/09/17)    



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Lectures








L'Arbalète / Gallimard

(Août 2017)
200 pages - 18 €






Michèle Audin,
née à Alger en 1954,
est mathématicienne et membre de l’Oulipo. Comme une rivière bleue
est son quatrième livre
chez Gallimard.


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de Michèle Audin :
Mademoiselle Haas