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Trilogie des rives, II
Un plateau sépare le pays « d’en bas » de son père sur les rives du Salagou de celui « d’en haut » de sa mère sur celles de l'Alrance, que l’eau rassemble et fait se ressembler. Emmanuelle Pagano pensait se centrer dans ce deuxième volume de la Trilogie des rives à sa famille paternelle mais la révélation par un oncle proche d'un secret familial du côté maternel va venir parasiter puis s'installer dans le récit sans y avoir été vraiment invité. Trop de liens naturels comme la circulation des hommes et des bêtes de part et d'autre, celle des ressources essentielles comme le sel, les céréales et le lait et surtout le poids de l'eau avec la création d'un barrage dans chacune des communes, reliaient naturellement ces deux points Aveyronnais. À partir de cette famille, c'est toute l'histoire de cette région depuis 1675 à nos jours qui se reconstruit sous nos yeux à partir d'événements ou de personnages divers. Ce seront des châtelains ou notables, des paysans, bergers ou vignerons, mais aussi des infirmiers psychiatriques ou des ecclésiastiques, issus du clan, les ayant croisés ou ayant simplement compté durant ces trois cent ans pour la vie du village. Certaines figures – comme un bénédictin facteur d’orgues ou un député-maire médecin qui a amené l'eau au village du bas installant pour tous une fontaine sur la place avant de créer une maison médicale naturiste intégrant l’hydrothérapie dans les années 30 – sont particulièrement fascinantes et s'y taillent une place toute particulière. Présent aussi, bien sûr, l'épisode du plateau du Larzac devenu de 1966 à 1976 l'objet d'une lutte unissant pour la première fois paysans, hippies et militants politiques venus de tout le pays pour s'opposer au projet d'extension du camps militaire. À la fin du livre, le présent de l'auteur et l'histoire des lieux se rejoignent par l'oncle qui l'a accompagné dans cette exploration du passé gagné par le vieillissement qui après lui avoir ouvert les portes du passé perd peu à peu la mémoire et voit sa propre maison menacée par la création d'un chemin touristique permettant aux touristes de faire le tour du lac.
Dans ce récit chronologique et sédimentaire, à partir de huit dates ayant toutes un rapport à l'eau, en huit chapitres écrits au présent de l'événement évoqué, Emmanuelle Pagano avec une puissance poétique toute personnelle déborde du cadre généalogique qu'elle s'est initialement imposé. « Les personnages, plus ou moins inspirés de personnes réelles, ont été largement transformés, et la narratrice, si elle ressemble beaucoup à l'auteur, ne saurait être confondue avec elle », précise l'auteur elle-même dans la postface. Si l'écrivain après avoir minutieusement mené son enquête utilise le paysage, les archives et les cartes, les souvenirs et les témoignages intimes, comme matériaux d'écriture, elle ne se laisse pas enfermer et étouffer par cette masse de documents disparates. « Les cartes ne coïncident jamais vraiment avec les lieux, encore moins avec la mémoire, elles se superposent aux souvenirs sans jamais rien ramener du passé. » Ce travail de documentation sur plusieurs années ne gomme aucunement cette sensibilité qui fait la patte de l'auteur et le lecteur sent bien qu'ici, comme dans la plupart de ses romans, la nature n'est pas un sujet d'étude neutre ni un simple décor faisant écrin au récit mais un personnage à part entière. Tout comme il pressent ce rapport intime qu'elle a avec ce monde paysan dont elle est issue, venu élargir la catégorie des laissés pour compte auxquels elle s'attache de livre en livre. De son écriture dépouillée, vibrante ou mystérieuse, qui donne à sentir autant qu’à voir, par ces mots qui comblent les silences pour laisser trace et reconstruire une mémoire de ce monde disparu ou en passe de disparaître, émerge un profond hommage à ces paysans qui soignaient leurs bêtes comme les infirmiers leurs malades et savaient « toucher », « sentir » et « entendre » la terre. La lecture de ce roman complexe parfois mais riche, puissant et passionnant, embarque le lecteur rapidement avec pour guide cette voix et ce parti pris littéraire très personnels dont Emmanuelle Pagano est coutumière, pour notre plus grand plaisir. Dominique Baillon-Lalande (17/05/17) |
Sommaire Lectures Editions P.O.L. (Janvier 2017) 400 pages - 19,50 €
Pour visiter le blog de l'auteur : emmanuellepagano. wordpress.com/ Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : Ligne & Fils Nouons-nous Un renard à mains nues Les mains gamines Les Adolescents troglodytes Le tiroir à cheveux Pas devant les gens |
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