Retour à l'accueil du site





Éric PESSAN


Dans la forêt de Hokkaido


Julie, la narratrice, se réveille en hurlant. Elle a fait un cauchemar. Dans son rêve, un petit garçon, seul, perdu, abandonné, erre dans une forêt au Japon. Ce double thème du rêve et de l’abandon est la trame du roman. Nous accompagnerons Julie et le petit garçon jusqu’aux dernières pages du livre.

Julie a quinze ans et des pouvoirs assez particuliers. Elle peut naturellement, instinctivement, savoir où se cachent les objets perdus, connaître ses notes avant que les professeurs ne rendent les copies et même deviner certaines pensées. « J’accepte toutes ces choses sans problème. Ce sont des choses qui arrivent. Ou plutôt : ce sont des choses qui m’arrivent. En faire la liste serait terriblement long. »

Mais cette nuit-là, c’est un nouveau phénomène qui se révèle. A chaque fois qu’elle se rendort, elle retrouve le petit garçon abandonné dans la forêt. La voiture s’est arrêtée. Le père a ouvert la portière et il a dit : ça suffit, on te laisse et on s’en va. Il a refermé la portière et la voiture est partie…
Le petit garçon court droit devant lui, à travers bois, pour essayer de rattraper la voiture au virage suivant, mais il est trop petit, et s’enfonce dans la forêt, de sentier en chemin, sans jamais retrouver la route, changeant de direction à chaque fois qu’il entend le bruit d’une bête. C’est vrai qu’il y a des ours dans la forêt de Hokkaido.

Ce qui bouleverse encore plus Julie, ce n’est pas seulement de suivre ce petit garçon perdu mais d’avoir le sentiment « d’être » ce petit garçon, de ressentir ce qu’il ressent. « J’avance avec prudence, une main tendue en avant pour éviter qu’une branche ou une ronce ne me griffent le visage. J’ai faim, j’ai terriblement faim. Je n’ai pas mangé depuis des heures. J’ai soif aussi. »

Quand Julie se réveille, elle a de la fièvre, elle a faim mais vomit tout ce qu’elle mange, et replonge rapidement dans un sommeil troublé où elle retrouve le petit garçon perdu. Au bout d’un moment, elle comprend qu’elle peut agir sur l’esprit de l’enfant, l’accompagner, le diriger, le soutenir sans qu’il en ait vraiment conscience. Et l’auteur invente alors un "nous".  « Le garçon accepte de plus en plus facilement ma présence invisible. […] Avec lui, je tresse un nous. Nous sommes deux dans un seul corps. » Et ce nous devient une seule entité, un nous singulier. « Nous sommes trop épuisé pour aller jusqu’au bout du bâtiment »

Au fur et à mesure que l’enfant affamé va s’affaiblir, l’état de santé de Julie va aussi empirer. Comme si toute l’énergie qu’elle mettait à soutenir le petit garçon, l’épuisait elle-même…
Sa famille est très inquiète et assiste impuissante à l’aggravation des symptômes auxquels les médecins ne comprennent rien malgré toute une batterie d’examens.

Le père de Julie est un homme profondément humaniste. Quand des migrants se sont installés dans un local abandonné, il a tout de suite cherché à améliorer leur sort. « Dès l'installation des premiers réfugiés, papa s’est rendu sur place, il a discuté avec ceux qui comprenaient un peu le français, il a contacté Médecins du monde et des réseaux de bénévoles pour leur apporter des soins, les aider dans leurs démarches administratives, et surtout pour prendre en charge au mieux certains très jeunes migrants probablement mineurs. » Quand le maire a décidé de faire évacuer ce squat, le père a accueilli trois jeunes Érythréens à la maison et l’un des trois semble avoir un pouvoir assez proche de celui de Julie…

Beaucoup de thèmes s’entrecroisent dans ce roman autour de la communication entre les personnes, l’entraide, les violences faites aux enfants, les dictatures et les guerres qui conduisent les jeunes à risquer leur vie pour fuir leur pays… Les lecteurs seront happés par l’étrange aventure que vit Julie avec le petit garçon japonais pendant son sommeil, avec sa famille et les migrants pendant ses phases de réveil. Ils partageront les angoisses et les émotions de la narratrice, son étonnement, son exaltation de pouvoir aider l’enfant, sa détresse quand tout semble irrémédiablement perdu et, une fois entrés dans son univers, ils dévoreront la suite du livre avec passion jusqu’à la dernière page et en garderont le souvenir longtemps après l’avoir refermé. Un bon roman à ajouter au programme de français des collèges et lycées tant pour sa forme littéraire que pour son fond humaniste.

Serge Cabrol 
(04/09/17)    



Retour au
sommaire
Jeunesse







L'École des loisirs

(Août 2017)
Collection Médium+
134 pages - 13 €








Photo © Thierry Rajic / Figure
Eric Pessan
né en 1970, est l'auteur
de nombreux ouvrages : romans, théâtre, poésie, nouvelles, textes avec des plasticiens, pièces radiophoniques...


Bio-bibliographie sur
Wikipédia






Découvrir sur notre site
d'autres livres
du même auteur :

L'écorce et la chair

Un matin
de grand silence


Incident de personne

Muette

Le démon avance
toujours en ligne droite


La nuit du second tour