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Le 4 janvier dernier, Aharon Appelfeld, s’est éteint à l’âge de 85 ans. La Seconde Guerre mondiale et la déportation des Juifs à laquelle il avait été confronté à ses dix ans, de la mort de sa mère à la fuite du camp à travers la grande forêt ukrainienne en plein hiver en préambule à une longue errance solitaire, marqueront toute l’œuvre de cet enfant d’Europe de l’Est devenu un auteur israélien internationalement primé et particulièrement apprécié en France (prix Médicis étranger 2004). Théo Kornfeld, vingt ans, personnage central de ce roman posthume, a passé plusieurs années dans un camp de concentration avant de se retrouver seul dans la nature lors de la désertion des nazis face à l’avancée de l’armée russe. Sans avertir ses compagnons auxquels sa vie a été si intimement liée, qui l’ont sauvé d’une mort certaine lors de l’épidémie de typhus qui avait ravagé les baraquements surpeuplés du camp n°8, le jeune homme s’enfuit en direction de sa ville natale nichée non loin de la frontière à plusieurs centaines de kilomètres de là. Son espoir fou : y retrouver sa mère sous la protection du monastère où elle était en soins psychiatriques lors de l’arrestation de son père et lui. Malgré son état physique défaillant, Théo fonce droit devant lui sans même être sûr de la direction qu’il prend. Plantant des bâtons dans le paysage, il avance, grisé par la liberté retrouvé, aimanté par les souvenirs heureux d’avant-guerre. L’image de sa mère, lumineuse comme une étoile, guide ses pas. Mais la fuite est générale et croiser sur son chemin d’autres déportés, cabossés, brisés, errants, en groupe le plus souvent et ne sachant quel sens donner à leur vie après l’horreur qu’ils ont vécue, le ramène brutalement à la réalité du camp, au travail forcé, au voyage qui avec son père les y a menés et à ses compagnons qu’il a abandonnés. « Son comportement le laissait songeur depuis qu’il avait quitté le camp. Une partie de lui était demeurée là-bas, et l’autre, celle qui avait pris la route, n’était plus celle qu’elle avait été. » Mais il s’accroche. Obstinément, il fouille les souvenirs de son enfance pour y rejoindre cette mère hors du commun qui l’attend. Cette femme magnifique, fantasque et passionnée qui prisait la nature autant que les belles robes et avait avec ce fils qu’elle entraînait dans la plupart de ses escapades une relation fusionnelle. Subjugués par sa beauté et sa vivacité, les villageois s’étaient habitués à ses extravagances quand, sensible au charme des églises et des monastères catholiques, fascinée par leurs icônes et leurs chants graves et plus particulièrement la musique de Jean-Sébastien Bach auquel elle vouait une véritable adoration, elle faisait une fugue de plusieurs jours avec le petit. « Des ailes, mon chéri, il nous faut des ailes. Sinon nous piétinons comme des poules. Seul Bach peut nous élever » répétait-elle à celui qui, envoûté par son exaltation, son élégance, sa fantaisie et sa tendresse ne vivait que par elle. Le roman s’achève à proximité de la frontière quand Théo, pris en charge par d’anciens résistants venus là faciliter le retour des personnes déplacées, se verra accompagné pour sécuriser les derniers kilomètres lui restant à parcourir pour atteindre le monastère...
Des jours d'une stupéfiante clarté, où Théo s’impose comme un double du petit Aharon, nous raconte le retour d’un rescapé de la Shoah à travers les paysages d'Europe centrale sans s’attarder sur l’horreur des camps et le sort des hommes qui y étaient parqués jusqu’à élimination. Derrière le voile pudique d’un silence plein d’émotion face à l’indicible, c’est sur le sort de ceux qui ont survécu que l’auteur se penche. « La parole ne permettra pas de mieux comprendre » le génocide, c’est l’Après qu’Aharon Appelfeld interroge: Qu’est ce qui fait avancer Théo ? Quel retour à la vie possible pour celui qui a côtoyé l’enfer ? Comment se reconstruire, dans la solitude ou la solidarité ? Et chaque rencontre faite par le jeune homme lève une nouvelle question qui le renvoie à lui-même. L’auteur ne propose pas plus de réponses toutes faites à ces diverses questions qu’il ne cherche à nous apitoyer, c’est à une contemplation et une réflexion qu’il nous convie. C’est sur la beauté réparatrice de la nature, sur les souvenirs heureux de l’enfance qui ressourcent, sur la modeste générosité de ceux qui accueillent ces épaves tourmentées et leur offrent nourriture et réconfort, sur le secours apporté par la foi à certains et par le rêve à d’autres, qu’il attache son regard. C’est par cette attention sensible qu’il leur porte, par les mots justes qu’il trouve pour les dire, qu’il rend aux victimes leur part d’humanité. La présence de cette mère fantasmagorique revisitée par les souvenirs de Theo, aussi frivole que mystique, fournit au livre des pages empreintes de sensualité, de passion, de fantaisie mais aussi de profondeur qui en font une icône émouvante, propre à envoûter le lecteur aussi résolument que le petit garçon de l’époque. Face aux corps absents et souffrants des rescapés, cet être paradoxal, intense et polymorphe, est le seul à pouvoir incarner la vie, avec sa face obscure, entre égoïsme, démesure et instabilité, mais surtout sa face lumineuse à travers sa beauté et sa détermination à vivre, son aptitude au plaisir et sa quête d’absolu, d’amour et de spiritualité. À travers cette figure maternelle aussi rayonnante que douloureuse que la folie pousse à s’adonner à la religiosité sans avoir la foi, avec l’intervention quasi magique de Madeleine et ses révélations qui confèrent au couple parental ayant donné naissance à Théo sa vérité au-delà des apparences, avec les apparitions récurrentes de cette femme dont nous ne saurons rien que ce café et cette nourriture qu’elle fournit à ces fantômes errants à chaque étape, Aharon Appelfeld quitte le terrain du réel et de la violence et aborde celui de la parabole ou du conte onirique yiddish de son enfance. Dominique Baillon-Lalande (24/04/18) |
Sommaire Lectures L'Olivier (Janvier 2018) 272 pages - 20,50 € Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti
Bio-bibliographie de Aharon Appelfeld sur Wikipédia |
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