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Philippe DELERM


Entrées libres


Ce recueil regroupe trois nouvelles publiées séparément en d’autres occasions, chacune construite autour d’un personnage confronté à une activité artistique : la peinture, le théâtre et l’écriture. L’ensemble est cohérent et permet de retrouver la plume poétique, émouvante et non dénuée d’humour de Philippe Delerm.

Dans la première nouvelle, L’envol, un certain Delmas qui habite Montauban va être subjugué par une toile de Folon.
Delmas est un solitaire, qui par un jour de pluie, se promène dans les rues et entre, presque par hasard, au Musée Ingres pour une exposition Folon. En fait, l’affiche l’avait attiré parce qu’elle lui rappelait « un vieux générique de télévision qu'il aimait sans savoir pourquoi. Oui, tout à fait à la fin des émissions, quelques années auparavant, on voyait d'étranges personnages quitter la terre pour se mettre à voler dans l'espace, sur fond de musique sidérale et douce. »
On demande parfois quel livre a changé votre vie, on s’aperçoit ici qu’un tableau le peut aussi. « Il n'y eut pas de choc, pas de surprise. Mais tout de suite, il oublia la foule, et se sentit glisser dans un vertige plutôt agréable. Il lui sembla qu'il ne s'arrêtait pas à quelques centimètres de la toile, mais continuait à avancer malgré lui. Dans son dos, les bavardages s'estompaient peu à peu, se diluaient en buée sonore, élargissaient l'espace. À droite du tableau, une main amicale ouvrait pour lui un voile bleu d'opale. Derrière commençaient des collines très douces : un monde l'attendait. »
Pour Delmas, rien ne sera plus comme avant. Il commencera par l’achat d’un cerf-volant pour retrouver cette sensation de s’élever dans les airs, survoler les champs, effleurer les feuillages… Il assistera ensuite à des spectacles de danse, ira voir voler les planeurs… Et il finira par… Non, une nouvelle ne doit pas être racontée, elle doit être lue.

Dans la deuxième, Quiproquo, un journaliste va, par hasard encore une fois, se découvrir une passion pour le théâtre.
Il travaille depuis cinq ans dans le Nord, au Réveil picard, et commence à sérieusement se lasser de cet ancrage régional. « Le sourire ironique du député qui vous ménage et vous méprise, la centième fête des rois, la millième coinchée. Je voulais autre chose, pour vraiment disparaître ou vraiment exister.
- Ça te plairait, un week-end dans le Sud-Ouest ?
Quand Dubernard, le rédac-chef, avait parlé d'un reportage à Agen, pour suivre au championnat de France juniors la gloire tennistique locale, la petite Valérie Pascal, je n'avais pas hésité une seconde. »
Mais le voyage jusqu’à Agen dans la BMW du père de la petite Valérie, sûr de lui et qui le traite comme un domestique, est exaspérant. « La famille Pascal était un signe du destin, l’insupportable goutte d’eau en trop qui tout à coup devient magique, et vous oblige à inventer un nouveau cap. »
Il plaque tout et prend un autocar vers une destination qui lui paraît poétique parce qu’il n’en a encore jamais entendu le nom, Beaumont-de-Lomagne. Mais il n’ira pas jusque-là, s’arrêtant dans un petit village, Camparolles. Là, il rencontre des gens accueillants et passionnés qui tiennent un restaurant et jouent des pièces de théâtre. Le Quiproquo Théâtre, exactement ce qu’il cherchait, sans le savoir… Il va y découvrir une vie différente de tout ce qu’il a vécu avant.

Le narrateur de la troisième nouvelle, Panier de fruits, est un écrivain qui a des millions de lecteurs, malheureusement pas pour le grand roman qu’il rêve d’écrire mais pour les textes qui figurent sur des emballages de yaourts. L’appellation "Panier de fruits", c’est lui. « Vingt mille euros pour trois mots, cela changeait quelque peu mon échelle de valeurs. Deux ans auparavant, j'avais touché une avance de six mille euros pour un premier roman qui m'avait coûté deux ans d'écriture, trois ans d'envois par la poste, beaucoup d'espoirs et de mélancolie. Un an après la parution, quand je m'étais enquis de mes droits d'auteur, on m'avait expliqué que mon à-valoir restait acquis malgré un solde débiteur – à l'évidence, j'étais loin d'avoir vendu pour six mille euros de ce meilleur de moi dont l'accouchement me donnait encore la nausée. » Mais la vie d’un "écrivain-publiciste" n’est pas un long fleuve tranquille. Alternance de réussites et de déceptions. La concurrence est rude. Lassé par l’alimentaire, il tente d’autres domaines publicitaires et, pourquoi pas, les paroles de chansons. « Mes premiers textes quoique ineptes, restaient prisonniers d’une certaine tenue formelle. Mais je me sentis bientôt glisser délicieusement vers le pire. » Jusqu’où peut-on aller pour gagner le jackpot ?

Trois nouvelles pleines de tendresse et d’humour, de lassitude et de rêves, trois personnages un peu décalés, qui choisissent de vagabonder hors des sentiers battus. Un recueil très agréable à lire qui nous entraîne dans des univers poétiques sur les bords du Tarn, de la Garonne ou dans les brumes du Cher. Des Entrées libres où l’on ne regrette vraiment pas d’avoir pénétré.

Serge Cabrol 
(29/05/18)    



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Le Rocher

(Avril 2018)
128 pages - 7,90 €









Philippe Delerm
né en 1950, a publié plusieurs dizaines de livres (romans, nouvelles, récits, essais) dont La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules qui a connu un immense succès.



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