Retour à l'accueil du site





Bernard FOGLINO

Equinoxes


Quatre ados, Paul, Frankie, Mike et Eddie passent ensemble leurs vacances chaque année sur le bassin d’Arcachon avant de se retrouver sur les bancs de la fac. Des garnements heureux de vivre et toujours partant pour faire les quatre cents coups.
« Les années soixante-dix sont celles des grues grattant le ciel, des ruines abattues, des lotissements surgissant de terre, des rescapés se faisant une identité. » « Grandir avait ressemblé à cette manière dont les maillons d’une chaîne de bicyclette s’associe aux pignons suivants. Une chaîne lisse, bien graissée par l’attention bienveillante de ceux qui nous entouraient, nos parents, la société. » Ils étaient « des enfants propres et bien élevés [...] dont les parents voulaient juste qu’ils deviennent quelqu’un, [...] qu’ils obtiennent un diplôme pour ne jamais avoir à incliner la tête [...] devant des connards qui décideraient pour eux. » « Ils ne doutaient pas que dans ce monde d’abondance qui s’ouvrait, nous aurions un meilleur avenir qu’eux, eux qui n’avaient été personne, parfois de simples numéros. » 
Les jeunes grillaient leur jeunesse par les deux bouts avec une insouciance, un appétit de plaisirs sans limite et une audace à toute épreuve. Rien alors n’effrayait ceux qui se voulaient des rebelles prêts à affronter tous les dangers. Des conquérants qui se rêvaient libres et immortels.

Vingt-cinq ans plus tard, à la fin d’un été qui ne veut pas mourir, au moment de l'équinoxe, le hasard, la nostalgie, la curiosité réunissent de nouveau ceux qui se sont perdus de vue. Les parents sont morts et eux ont construit leurs vies. Ils ont, comme on dit généralement, socialement réussi. Eddie est le seul à être resté sur place pour poursuivre le travail de son père dans l’ostréiculture. Un choix de vie au grand air au rythme des marées et des saisons moins ambitieux peut-être mais « Eddie est l’homme des éléments, il a appris à les craindre et les exploiter » et semble y trouver son bonheur. Après leurs études, les trois autres se sont éparpillés : Mike qui venait des vignobles est parti tailler la route aux États-Unis avant de revenir ouvrir un bar à vin à Paris ; Paul, le plus doué et le plus doté d’entre eux, ce joueur imaginatif sur lequel rien ne semble avoir prise, a continué à manipuler de l’argent et à faire des affaires ; Frankie, le narrateur, à s’ennuyer dans les tours de La Défense.
Mais, à l’aube de leurs cinquante ans, les trois citadins sentent bien qu’un cycle se termine. « L’expérience que nous avons accumulée est démonétisée pour l’époque. Nous vivons dans un monde qui a égaré le mode d’emploi. Il y a un jeu à jouer, mais la règle change tous les jours. »

La bande de quinquas sait bien que la jeunesse est derrière, que le passé ne reviendra pas et que l’avenir se rétrécit pour chacun d’entre eux. Mais quand les fantômes de la maladie, de la solitude ou du chômage s’invitent à leur table, les quatre larrons les laissent flotter avec pudeur sans les voir tant ils ont envie de profiter pleinement de cette chaleureuse parenthèse hors du temps avant que l’âge ne les rattrape. « Si on aime bien être ensemble, justement, c’est pour ne rien se raconter » explique Frankie à la sœur de Paul quand elle sollicite son aide pour lui faire entendre raison sur une question de famille. Parfois, quand même, parce que ceux-ci incarnent cette jeunesse au temps présent, ils évoquent avec tendresse et inquiétude leurs enfants respectifs : la fille adorée de Frankie partie tenter l’aventure en « Nostralie », les deux fils dont Mike n’a plus de nouvelles, les grands enfants de Paul toujours en demande d’argent. « Nous n’avons plus à espérer qu’ils sauront s’agripper aux portiques du manège et se faire une vie malgré tout correcte. »
La terre tourne et la vie passe et quand ces hommes abordent l’automne de leurs vies, leurs enfants au printemps de leur existence s’apprêtent à prendre le relais, d'où le titre Equinoxe. Si Frankie, le plus bavard sur ce sujet, regrette un peu l’éloignement de sa fille, il ne peut s’empêcher de constater : « Elle est heureuse, dit-elle, et j’en suis fier. Peut-être y suis-je pour quelque chose ? [...] notre vie n’a peut-être d’autre sens que celui de hisser sur nos épaules d’autres vies. Les aider à atteindre ce qu’il peut y avoir de bon et de chaud dans l’existence, alors que chaque jour l’ombre gagne un peu plus. »
« Nos vies sont palimpsestes. Elles s'effacent. Pour que d'autres puissent écrire leurs histoires sur un parchemin qui, malgré les apparences, malgré nos certitudes, nos serments, n'appartenait à personne. »

Une certaine bijouterie revient de façon récurrente dans leurs conversations et leurs blagues. Elle  fait comme un fil rouge entre le temps de la jeunesse folle et celui de leurs retrouvailles pour donner lieu à un avant-dernier chapitre rocambolesque et hilarant qui a tout d’un pied de nez à la fatalité.

 

        Cette histoire d’hommes attachants en diable que lie une amitié indéfectible serait presque simple et banale si elle ne débordait pas de tendresse bourrue, de facétie provocatrice ou de nostalgie rêveuse ou taquine quand, pour esquiver les bilans et les questions existentielles qui se font avec l’âge plus pressantes, il se rejouent en parvenant presque à y croire le temps des rêves de leur jeunesse à travers leurs souvenirs. Alors, chez ceux-là qui ne se sont pas vus grandir, par la magie de cette communauté retrouvée, la fantaisie franche et vive de leur délire s’impose comme un exorcisme face à la vieillesse ou la mort qui se profile, transformant l’angoisse du quotidien en un bouquet plein de rires et d’émotions.

Les dialogues courts et enlevés et les plaisanteries croisent l’errance intérieure des personnages un instant démasqués. Et la langue de sable entre océan et bassin qui sert de décor à cette étrange et réjouissante cérémonie d’adieu, cette nature désertée des touristes et à nouveau sauvage et belle transmet aux scènes décrites comme un mystère, dévoile une profondeur enfouie. 
Délicatement et sans grands discours, usant d’une langue imagée et parfois poétiquement énigmatique, à travers ces scènes cocasses ou plus graves livrées à notre regard mais jamais explicitées, Bernard Foglino habille ses personnages d’une humanité sensible pour questionner avec pudeur nos vies dans leurs différences et leurs ressemblances, pour dire avec fantaisie la fuite du temps et le vieillissement.
Un livre lumineux, tendre et drôle qui réussit le tour de force d’être à la fois très contemporain par son histoire, ses personnages, son humour et sa vivacité et fort romantique par cette douce mélancolie qui l’habite.

Dominique Baillon-Lalande 
(19/04/18)    



Retour
Sommaire
Lectures








Buchet-Chastel

(Mars 2018)
240 pages - 15 €










Bernard Foglino,
né à Bordeaux en 1958, a déjà publié quatre romans chez le même éditeur.








Découvrir sur notre site
d'autres romans
de Bernard Foglino :


Le théâtre des rêves


La mécanique du monde



Bienvenue
dans la vraie vie