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Bénédict, un personnage troublant, un roman surprenant et magnifique. En sorte de préambule, un tout petit chapitre pour nous donner envie de lire entre les lignes avec cet aperçu de sa densité poétique. Puis, deux grandes parties : la première, « Blanc », comme la montagne, qui se déroule en Suisse ; la deuxième, « Noir », comme le hijab, qui se passe en Iran. Et un épilogue : « Couleurs ». Très vite la lecture nous emporte jusqu’à nous demander si nous ne touchons pas là au cœur de la philosophie, de la littérature, de la vie. Les réflexions suscitées ont l’air d’émaner naturellement de ce souffle poétique, venu d’une écriture fine, pure. Et, petit à petit nos pensées sont troublées. Atteintes par ce plaisir intellectuel lorsque nous sommes en train de comprendre ce qui est soulevé de la nature humaine, de ce pays arqué dans sa religion, des âmes et des corps bouleversés... Et par cet autre plaisir quasi sensuel quand il s’agit de percevoir, à travers des phrases susceptibles de nous déstabiliser, un esprit libre, peut-être tourmenté, mais brillant. Bien sûr, il y a l’histoire, celle de Bénédict. Enfant d’une mère iranienne et d’un père suisse, pasteur. Qui a grandi dans les deux cultures, les deux sensibilités. Et qui, à présent, enseigne la littérature comparée à l’Université de Lausanne, et en alternance à celle de Téhéran. À l’université de Lausanne, certains de ses étudiants et notamment un couple, Angélique et Nadir, semblent fascinés par la personne de ce « Maître Bénédict Laudes » et surtout par son enseignement : « L’envie de transmettre cette manne, cette beauté qui l’aide à tenir debout, jaillit alors aussi naturellement que l’eau claire aux lèvres mousseuses d’une source ». Nombreux sont sous le charme de cette personnalité originale, androgyne, mystérieuse. Qui est-il vraiment ? « C’est ainsi que le monde se présente à Bénédict : en noir et blanc. Après une première crise d’épilepsie survenue à treize ans, l’enfant n’a plus jamais vu les couleurs […] Et toute l’existence de Bénédict s’est construite entre ces deux absolus pour, en fin de compte se tenir au milieu, dans le creux gris de leur principe opposé. » Mais avoir treize ans en Iran, c’est aussi cela : « Elle doit désormais cacher ses cheveux, ses seins naissants, ses hanches invisibles, ses fesses plates. Elle. Voile. Elle. Vêtements larges. Manteau noir. Elle. Deuil de sa liberté. Corps nié, dont elle a soudain pris conscience » Nous comprenons alors le trouble qu’avait suscité Bénédict, ce double si intime, si complexe, et si… constitutif. Alors, lorsque Cécile Ladjali, l’autrice, fait dire à Bénédicte lors d’une conversation : « Je vous l’ai dit : je dois rendre à l’Iran ce que l’Occident m’a donné. Et puis le peuple iranien me fascine. Il est double lui-aussi. La fierté iranienne se nourrit de siècles de civilisation brillante. Elle entretient une sorte de défiance et de sidération mêlées pour l’Occident qu’elle pense être le seul partenaire à sa hauteur, même si elle le juge condescendant et dominateur. Je rêve de créer un lien entre ces deux sphères par mon enseignement. » La force de ce roman n’est pas seulement due à cette dualité, ni à ce regard sur l’Iran, ni même à ce qui ressort des pensées, des réflexions émises par les personnages autour de Bénédict(e), elle vient aussi du fait qu’il instille des atmosphères particulières, sourdes, sombres ou lumineuses. Et parce qu’il y a aussi ce souffle essentiel, à chaque tournant d’idée, ou de propos… c’est pour tout cela à la fois, que ce roman est magnifique. Anne-Marie Boisson (20/02/18) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Janvier 2018) 272 pages - 20,80 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Déouvrir sur notre site le précédent roman de Cécile Ladjali : Illettré |
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