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Pascale PUJOL


Sanguines


Non, à part la nouvelle Technique mixte ce recueil ne vous en apprendra pas plus sur l’art du dessin du même nom célèbre depuis le XVIe siècle pour sa douceur ocre et le rendu de ses courbes. Et pour la nouvelle citée, la seule qui s’inscrit dans le domaine de l’art et la peinture, les sanguines évoquées s’avèrent sans oxyde de fer et réservent quelques surprises aux experts.
Le sujet qui relie ces douze nouvelles est plus singulier, audacieux, voire provocateur, puisque toutes se déclinent autour des menstrues féminines, cette réalité animale et secrète souvent symbole d’impureté, suspecte de gâter certaines cultures ou de nuire au bétail dans les pays slaves, interdisant la lecture du Coran chez les musulmans, le contact avec les objets sacrés chez les juifs et la cuisine ou la prière au temple chez les hindouistes. La colonne vertébrale de ce recueil est en effet le tabou culturel, le phénomène dérangeant dans de nombreuses sociétés encore aujourd’hui, du cycle féminin.

Si Pascale Pujol n’aborde pas directement ces interdits religieux liés au sang menstruel des femmes et préfère flirter avec le surnaturel, évoquer les survivances chamaniques et la magie (Magie rouge, Sortilèges, L’alignement des planètes) pour dire la peur et la fascination des hommes face à ces saignements réguliers liés au phénomène puissant de la maternité,  elle ne s’arrête pas à ce seul aspect. C’est avec une grande diversité d’approche qu’elle balaye tout le territoire de son sujet, de façon souvent décalée, des survivances ancestrales au contemporain  (Vernis à ongles, Dernier round, Le samovar), de la transmission familiale (Le passage, La boîte à secrets) à l’univers marchand (Lady-Net, Monsieur Ragnagnas, La coupe est pleine) avec une malice et un goût de la provocation salutaires et immédiatement perceptibles.
Elle s’amuse à nous balader des frontières du futile au drame, du pur réalisme au symbolisme, de la gêne ou la honte à la répulsion ou la fascination, des peurs devenues  préjugés aux fantasmes, passant d’un point de vue féminin à celui d’un homme, d’un propos intime à la première personne à celui d’un narrateur extérieur avec le filtre de sa pratique professionnelle ou de ses croyances. 
Chacune des nouvelles composant ce recueil rendu homogène par son thème invente un ton et une atmosphère singulière pour susciter des émotions renouvelées, ambiguës ou contradictoires qui se conjuguent ou se juxtaposent pour circonscrire ce phénomène aux noms imagés (ourses, coquelicots, anglais, lunes, histoires de femmes…) enfoui sous le silence. 
Et l’humour, déjà présent dans les précédents livres de l’auteure, vient donner le liant nécessaire à l’ensemble et confère à ces nouvelles élégance et légèreté tout en évitant le traitement consensuel et neutre du thème qu’elle s’est choisi.

Si je me livre au jeu éminemment subjectif du tiercé des préférences, la nouvelle La coupe est pleine qui saisit sur le vif une réunion d’actionnaires et de cadres d’une société spécialisée dans les protections féminines face à l’apparition d’un nouveau produit qui pourrait mettre à mal le chiffre d’affaires, ce régal de machisme, de discours capitaliste et de second degré, a provoqué en moi un mélange rare d’envie de cogner et de rire à gorge déployée et m’a paru particulièrement percutante. Technique mixte, ce bijou au carrefour de l’art et du féminisme sur fond de provocation, de moquerie sur le marché de l’art et la prétention des experts qui en tiennent les rênes, du pouvoir et des investissements financiers à l’œuvre dans ce secteur, m’a  paru particulièrement jouissive et bluffante. Enfin, en troisième position, Lady-Net, plus classique dans sa facture par son aspect réaliste et sa noirceur l’apparentant à l’univers du polar, pour son adresse à signifier le dégoût et sa dextérité à jouer sur plusieurs niveaux de lecture, me semble confirmer tout le talent de cette auteure dont c’est le quatrième livre.

Il fallait beaucoup d’audace et un sacré talent pour façonner un recueil de nouvelles aussi  impertinent que sensible, inquiétant, satirique, étrange ou malicieux, sur un thème aussi glissant sans en gommer à l’occasion l’érotisme mais sans jamais tomber dans le militantisme ou le scabreux. C’est un pari réussi. 

Une fois dépassé le premier mouvement de pudeur et de malaise lié au sujet,  ce recueil original mérite qu’ hommes et femmes s’y plongent et le dégustent, pour ses qualités littéraires mais aussi pour sa liberté de ton, sa féminité affirmée et son esprit élégamment frondeur.

Dominique Baillon-Lalande 
(21/03/18)    



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Quadrature

256 pages - 19 €












Pascale Pujol
a déjà publié un recueil
de nouvelles, Fragments d'un texto amoureux (Quadrature, 2014) et un roman, Petits plats de résistance (Le dilettante, 2015 et Livre de poche).




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