Retour à l'accueil du site





Isabelle ROSSIGNOL


Les âmes vives


Une adolescente en quête d’identité cherche sur internet des réponses à ses questions et un moyen de rompre l’isolement dans lequel elle s’enferme un peu plus chaque jour. Malheureusement, celui qui dialogue avec elle en l’appelant « ma sœur » et qui semble si bien la comprendre est un recruteur en quête d’une proie pour assouvir la terrible fringale de son réseau intégriste.

Inès, lycéenne en terminale à Paris, a la douloureuse sensation d’être coupée en deux, partagée entre deux cultures. Sa mère est alsacienne, son père d’origine marocaine. La mort de sa grand-mère paternelle, Khadidja, l’a rapprochée de l’islam. Elle allait la voir à l’hôpital, les derniers jours, il y a un an.
« Ensemble, elles priaient et la bonne musulmane avait pu partir en paix. Sauf qu'elle était maintenant dans un cimetière à Pantin, loin de son Maroc, de sa terre, de sa famille ! Être enterrée dans son village, c'était pourtant la tradition. Si son père l'avait oubliée, Inès non, et elle ne s'était pas gênée pour le lui rappeler. Mais lui... Manque d'argent pour rapatrier le corps. Manque d'argent, ben voyons ! Trahison, oui ! »

Depuis, elle cogite et la religion lui apparaît de plus en plus comme le chemin de la pureté par rapport à toutes les marques d’irrespect et d’impudeur qui la mettent mal à l’aise au quotidien, les réflexions, les gestes et les regards des garçons, et cette image humiliante de la femme affichée dans la rue. « Et un string par-ci, et un soutien-gorge par-là ! Au fur et à mesure qu'elle avance, Inès ne voit qu'eux. Tous en dentelle, tous transparents, tous portés par des filles de son âge. Et les prix ! Pour Inès, c'est le plus insoutenable. On dirait qu'ils sont ceux des filles autant que des slips. Colère, honte : elle ne tranche pas, voudrait seulement ne pas avoir à subir ces horreurs. En plus, c'est dingue, c'est comme si elle était attirée par les images, elle ne peut jamais les éviter. Kiosques à journaux, colonnes Morris, partout, partout, la nudité pollue la ville et la pollue elle-même. Elle choisit finalement de baisser la tête et de marcher aussi vite que possible, avec interdiction de quitter le bitume des yeux. »

Heureusement, elle a son refuge, sa chambre pour elle seule et l’ordinateur grâce auquel elle peut surfer sur le Net, découvrir des sites accueillants, des forums réconfortants où partager sa solitude et ses colères. C’est là qu’elle est entrée en contact avec GG, un garçon récemment converti qui la comprend et sait la faire rire tout en la confortant dans sa recherche de pureté.

Quand elle arrache ses posters d’adolescente des murs de sa chambre et que sa mère la trouve avec une cagoule sur la tête et une grande écharpe qui couvre son corps, les parents tentent de réagir mais elle sait mentir pour les rassurer.
« – Je comprends, Papa. Mais, franchement, arrêtez de vous inquiéter. Je fais rien de mal, je cherche juste à apprendre à être moi-même.
Tout compte fait, elle trouve qu'elle ne bluffe pas tant que ça. Car c'est vrai qu'elle cherche à être elle-même. Et c'est vrai qu'elle ne fait rien de mal. Qu'est-ce qu'il y a de mal à parler de sa foi avec d'autres croyants ? À aller rencontrer un imam ? À avoir un frère de religion ? C'est eux qui ont des a priori de mécréants bornés. C'est eux qui la forcent à se cacher. »

Difficile pour les parents de savoir comment réagir. Jusqu’où cette quête d’identité mènera-t-elle Inès ? C’est la question qui envahit peu à peu le lecteur…

En contrepoint, d’autres jeunes filles suivent d’autres pistes, cherchent d’autres voies. Sarah, sa copine depuis le CP, est plus intéressée par les garçons et le nouveau Star Wars. Elle déguste sa liberté avec bonheur et ne supporte pas la dérive de son amie qui en vient à envier les filles « du bled ».
« Elle pose un doigt sur le crâne d'Inès et le tapote :
– Ça s'arrange pas là-dedans, hein ? Tu sais quoi, toi, des filles du bled ? Vas-y faire un tour, comme moi qui suis obligée d'y aller tous les étés, et après on en reparlera. »

Jane, pour sa part, a choisi l’expression artistique, une autre quête de liberté et d’émotions. Elle est plasticienne et sème ici ou là de vrais faux objets : des boîtes d'air pur, des diffuseurs de bonheur, des conserves de souvenirs dans les supermarchés ou des cartes de menus végétariens dans une chaîne de restauration spécialisée dans la viande rouge ! Elle dépose aussi de vrais faux livres sur les étagères de la bibliothèque municipale Claude Lévi-Strauss, un lieu qui joue un rôle important dans cette histoire.

Voilà un roman qui permet de comprendre le cheminement et les interrogations d’une adolescente en quête d’identité et d’absolu, les diverses voies qu’elle peut choisir et le rôle primordial de l’amour pour échapper à l’isolement et à la solitude. Les lecteurs (et lectrices) se sentent proches d’Inès mais aussi de Sarah et Jane. Pas toujours facile de choisir son chemin au croisement de tous les possibles…

Serge Cabrol 
(03/07/18)    



Retour au
sommaire
Jeunesse







Talents hauts

(Juin 2018)
208 pages - 8 €


d'après un scénario de
Christophe Petot






Isabelle Rossignol,
formatrice et animatrice d'ateliers d'écriture, publie alternativement des ouvrages pour la jeunesse et pour les adultes.



Découvrir sur notre site
d'autres livres
du même auteur :

Sale linge

Les ombres et la plaie

Au-dessous du genou

J'ai décidé