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L’histoire se passe au début du XXIe siècle à O’Connor, un village perdu de la province de Buenos Aires frappé de plein fouet par la crise économique. Face au chômage qui les touche, sous la houlette de Perlassi, un ancien footballeur qui a eu son heure de gloire avant de revenir dans son village pour tenir une station-service, des habitants décident d’unir leurs économies et ressources pour sauver leur village. Leur projet est de racheter « l’usine » abandonnée depuis vingt ans pour la transformer en coopérative agricole afin de permettre aux petits agriculteurs de conjuguer leurs forces pour survivre mais aussi créer quelques emplois pour éviter l’exil rural à leurs enfants. Le lendemain de la transaction soit le premier décembre 2001, avant donc l’obtention officielle du prêt, le président d’Argentine Fernando De La Rua et son ministre de l’économie saisissent l’épargne des particuliers et bloquent tous les comptes bancaires du pays pour stopper la fuite des capitaux face à la crise endémique et gravissime. Les retraits seront dorénavant limités à 250 dollars par semaine, jusqu’à ce qu’un redressement se fasse sentir. Des centaines de familles seront ruinées, dont les petits épargnants de O’Connor, et le projet de reconversion de « l’usine » (en fait un ancien élevage industriel de poulets) tombe à l’eau. Quelques mois plus tard, Belaunde apprend par une indiscrétion qu’ils ont été victimes d’une escroquerie : Manzi, un riche commerçant local, grâce à la complicité du banquier de Villégas, aurait récupéré 300 000 dollars en liquide à la banque quelques minutes après leur dépôt. Cela juste avant la fermeture de l’établissement et la veille de la mise en place du blocage des comptes. Grace aux contacts des uns et des autres avec des artisans de Villégas, ils supputent que Manzi cacherait son argent dans une cave blindée dissimulée dans un de ses champs et qu’il l’aurait dotée d’une alarme quasi inviolable. Mais il en faut plus pour décourager la bande prête à tout pour parvenir à ses fins. Le hobby de Firmin Perlassi c’est la cinéphilie et plus particulièrement la filmographie d’Audrey Hepburn qu’il visionne inlassablement sur son magnétoscope. C’est là qu’il piochera ses diverses propositions de scénarios. Ce gang d’opérette composé de vieillards têtus ou nostalgiques et de plus jeunes respectueux de leurs anciens n’a rien d’une bande de malfrats. Ce sont des êtres simples qui n’ont comme atouts que leur détermination, leur solidarité et leur révolte. Et s’ils semblent d’office voués à l’échec dans cette difficile entreprise, ils n’en sont que davantage touchants et parviennent à forcer notre admiration. Dans cette aventure très masculine chacun se distingue par un trait particulier. Perlassi le charismatique chef improvisé et involontaire est aussi un veuf inconsolable, un père aimant et un ami fidèle. Son fils Rodrigo jongle entre ses études, un soutien inconditionnel à son père et ses premiers émois amoureux. Fontana l’anarchiste dans son garage à l’abandon envahi par les pneus depuis l’abandon de sa femme est un homme seul qui n’a que Perlassi comme ami. Lorgio, dont les parents ont fui la misère en Espagne pour s’installer là, peine à comprendre l’insouciance et l’inconstance de son fils Harman. Les frères Lopez, ces branquignols de première classe parents des Pieds Nickelés par leur bonne volonté maladroite et leur couple à la Dupont-Dupond, appellent la bienveillance collective et ajoutent leur patte grand-guignolesque à l’affaire. Le fidèle Belaunde est plus discret mais non moins engagé et le vieux Medina, souscripteur mais initialement en dehors du projet de « récupération » de la collecte s’avère un personnage atypique de résistant, inflexible mais rusé, offrant des ressources finalement bien utiles au dénouement fatidique que les autres ne soupçonnaient pas. Si, dans cette histoire digne des frères Coen ou du Ken Loach de La part des anges, le réalisme est bien présent par le tableau socio-historique et économique de l’Argentine contemporaine sur fond de crise, de chômage et d’exode rural, on est loin ici du pamphlet politique et de la charge frontale. C’est l’empathie et la tendresse de l’auteur pour ses personnages donquichottesques et burlesques parfois qui l’emportent sur la violence. Face à Manzi le méchant capitaliste qui dans ses inquiétudes quant à son magot nous rappelle le Harpagon de Molière, au-delà de la perversité du système qui broie la population sans lui laisser la moindre alternative, la solidarité et l’amitié liant ces victimes qui réclament justice prennent toute la place en nourrissant de façon lumineuse le scénario. Et comme ceux-là n’ont plus rien à perdre, que cette richesse humaine les rend forts, ils avancent sans peur. Cette fresque sociale où les perdants décident de prendre leur revanche sur ceux qui les dupent prend la forme d’un magistral pied-de-nez au désespoir induit par le contexte historique et leur entreprise à l’issue au mieux improbable devient alors le moteur d’un récit chaleureux et non sans humour, plein de vie et de rebondissements. En écho à Karl Marx quand il écrivait « L’histoire ne fait rien, c’est l’homme, réel et vivant, qui fait tout » (Thèses sur Feuerbach) et à la célèbre citation de Victor Hugo « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » (Les Châtiments), à sa façon et avec le rire en bandoulière, Eduardo Sacheri plutôt que la soumission et la résignation prône comme eux la révolte. Et ce roman noir aussi bienveillant et humaniste que décalé qui imagine un instant qu’une lutte juste et solidaire pourrait nous sauver des ravages du capitalisme triomphant, de l’individualisme et de la course au profit qui génèrent les crises modernes, outre qu’il est écrit sans prétention pour nous distraire, fait un bien fou. Dominique Baillon-Lalande (26/06/18) |
Sommaire Lectures Héloïse d’Ormesson (Avril 2018) 448 pages - 22 € Traduit de l’espagnol (Argentine) par Nicolas Véron
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