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Jean-Pierre ANDREVON

Le jour des morts


Avec Le jour des morts, les éditions Malpertuis offrent à l’amateur de fantastique un recueil de nouvelles signé Jean-Pierre Andrevon, dont beaucoup, publiées il y a des années en anthologie ou en revues, étaient totalement introuvables. On y voit les morts s’infiltrer dans le monde des vivants, souvent avec discrétion et sans recours à l’horreur. Ici, par de zombies cannibales aux chairs pourrissantes, mais une familiarité souvent tendre et nostalgique avec ceux qui sont passés de l’autre côté.  Seule la nouvelle « Des vacances gratuites » joue pleinement la carte de l’horreur et de la répulsion physique, et cette horreur n’est pas suscitée par des revenants de l’au-delà, mais par l’enfer, au sens propre, de vacances organisées qui virent peu à peu au cauchemar absolu. De désagréments mineurs, on passe à un sabbat démoniaque où les vacanciers sont soumis aux pires tortures. Si atroces que soient celles-ci, d’ailleurs, l’évocation ne manque pas d’humour, tant l’auteur revisite avec délectation les topoï obligés de l’Enfer : « Les créatures velues allaient et venaient dans la caverne, elles travaillaient sans répit, grognant et ahanant, concentrées sur leur tâche. Certaines maniaient un trident avec lequel elles piquaient des fesses ou des seins, d’autres un fouet zébrant en cadence des épidermes rougis (…) Claudia aperçut Dominique plongée jusqu’aux épaules dans un chaudron qui bouillonnait. Elle vit Gloria, empalée sur une broche au-dessus d’un foyer. Elle vit Freddy, courbé contre un rocher qu’il tentait de faire rouler vers le haut d’une pente escarpée. Elle vit Nassim attaché à un piton, un oiseau charognard lui dévorant tranquillement le foie. »

Mais dans les autres nouvelles, point de cette horreur crue.  « Le cimetière de Rocheberne » est plutôt une promenade mélancolique dans un lieu à l’écart, où le narrateur échappe aux trépidations de la vie contemporaine : « Je préfère la pierre fendillée de Rocheberne, ses inscriptions gravées en alexandrins naïfs, ses émaux qui s’effacent au soleil et à la pluie, aux enseignes lumineuses de la ville, à ses fast-foods et à ses rocades pénétrantes, ses bruits de freins, ses sirènes d’ambulance et de police, les inhumains hôpitaux de sa frontière nord… » Le fantastique proprement dit ne s’insinue dans ce texte que tout à fin, subrepticement, quand on comprend la condition du narrateur. « Le portrait de Marianne, » lui, est autant une histoire d’amour – d’ailleurs l’amour est un thème majeur du livre – qu’une variation virtuose sur le topos du tableau qui s’anime et sur le pouvoir de l’art vainqueur de la mort.

Loin d’attribuer aux défunts une malveillance redoutable, un texte comme « Gardiens » en fait des présences tutélaires, au sens propre les anges-gardiens des vivants. Et si, dans la nouvelle éponyme, les morts reviennent, au sens propre, visiter leurs proches un jour par an, cette situation, qui suscite d’abord chez le narrateur un profond malaise, finit par lui offrir une rencontre magique avec une jeune fille aimée et brutalement disparue ; « Je tiens cette morte par la main. Elle ne résiste plus. (…) Nous cheminons ensemble par des sentiers de soleil, mes doigts se sont inextricablement liés aux siens, j’écoute ses talons compensés frapper le bitume, je ne cesse de la regarder (…) »

Bien sûr, l’inquiétante étrangeté inséparable du fantastique est quand même présente parfois jusqu’à l’angoisse. Le revenant peut entraîner dans la mort le vivant qu’il fascine, comme dans « L’inconnue du cinquième ». De terrifiantes créatures d’outre-monde peuvent envahir notre terre (« Le géant du froid »). À la faveur de la guerre, le chaos peut s’installer et transformer une femme adulte en toute petite fille terrorisée « perdue sous la pluie, perdue en pleine guerre. Clo, quatre ans, qui pleurait, qui pleurait, qui appelait « Maman, Maman, Maman… » (« Une enfant perdue ») Ou bien, l’angoisse est celle que suscite la masse sans cesse croissante des sans-abris (« Si nombreux ! ») qui finissent par créer un nouvel être à-demi végétal qui absorbe peu à peu les humains. Dans cette nouvelle comme en d’autres, l’insolite surgit de l’observation de notre quotidien, qu’une légère « poussée » suffit à faire basculer dans le fantastique. Le grand art de Jean-Pierre Andrevon tient à cette façon de cultiver les germes d’une étrangeté perçue dans un monde banal au départ, pour en faire surgir une floraison surnaturelle.

Le livre refermé, on retire de la lecture une impression entêtante où la mort apparaît plutôt, pour celui qu’elle frappe, comme un effacement progressif non dénué de douceur, qu’il n’y a pas vraiment lieu de craindre, comme dans « Poussière». Ceux qui demeurent peuvent leur accorder une attention empreinte de piété pour tenter de les faire revivre, comme le narrateur de « Il suffit d’un rien ». Il reste qu’en dépit de la nostalgie ce dernier refuse toute complaisance morbide. « Ce sont les vivants qu’il faut aimer » conclut-il avec un renouveau d’espoir.

Sylvie Huguet 
(04/11/19)    



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Malpertuis

(Septembre 2019)
260 pages - 15 €







Jean-Pierre Andrevon,
né en 1937 à Jallieu dans l'Isère, a publié plus de 130 romans, recueils ou essais dans des domaines aussi divers que le fantastique, la SF, le polar, la littérature jeunesse ou l'écologie. Chanteur, dessinateur, il vit à Grenoble entouré de ses nombreux chats.




Bio-bibliographie sur
le site de l'auteur :
http://jp.andrevon.com/



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