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Alain CADÉO

Mayacumbra


Après Iwil, l’homme qui marchait dans Chaque seconde est un murmure, ou Barnabé qui quittait Paris dans Comme un enfant qui joue tout seul, nous rencontrons ici Théo qui vit depuis trois ans comme un ermite sur le flanc d’un volcan, à mille cinq cents mètres d’altitude, au-dessus du village de Mayacumbra.

Comme un ermite est un terme un peu exagéré. C’est vrai qu’il vit seul dans une maison qu’il a construite de ses mains avec le bois et les pierres trouvés sur place. Mais ce n’est pas un total isolement parce qu’il partage sa cabane avec Ferdinand, un âne qu’il a acheté peu après son arrivée pour l’aider à transporter le bois, les pierres et les vivres nécessaires pour son installation. Et puis il y a Lita, une jolie jeune femme du village, qui vient le voir de temps en temps, la nuit, quand son mari est endormi.

Mayacumbra est une sorte de fin du monde, quelques maisons au bout d’une piste en cul de sac, avec pour seuls commerces une boutique qui fait aussi bistrot et un garage.
La boutique, le Kokinos, est tenue par Cyrus, un type adipeux, et une femme asiatique d’un mètre quatre-vingts dont les larges mains sont si fameuses et redoutées qu’elle est surnommée « la mère Talloche ».
C’est au Kokinos que les gens du village occupent leur temps à boire, manger et jouer aux cartes. « Une bonne dizaine d’individus avec des gueules inimitables » qu’on découvre peu à peu au fil des soirées arrosées où Théo vient trouver un peu de chaleur humaine.
Le garagiste, c’est Solstice « africain, brésilien, qui a tout lu, qui a tout vu, tout vécu ». Débrouillard et inquiétant, prêt à tous les trafics pour arrondir le magot qui lui permettra peut-être, un jour, de quitter ce trou perdu. « C'est lui qui a procuré à Théo son âne […] Et puis c'est lui, Solstice, qui l'a présenté aux autres, qui le leur a fait adopter, qui l'a pris sous sa protection, mû par une sorte d'immédiate sympathie pour ce gringalet bravache venu de villes lointaines. » Grâce à lui, Théo peut survivre là où tant d’autres ont terminé leur route et disparu à jamais.

Lita, il l’a rencontrée à cause d’une chute sur une pente pierreuse. « Lorsqu'il sortit de son étourdissement, la première chose qu'il sentit ce furent les cheveux de cette femme qui, à genoux, était penchée sur lui. Elle susurrait des petits mots comme on fait une prière. Elle avait glissé une de ses mains, chaude, sous la nuque de Théo et de l'autre appuyait doucement sur son front. Il n'ouvrit pas les yeux tout de suite. La sensation était si douce ! Il avait bien trop peur aussi que, le sentant éveillé, Lita ne s'éloigne de lui. » Elle a pris ensuite l’habitude de lui rendre visite et ils passent ensemble des moments passionnés.

Théo écrit, pour son plaisir, une sorte de journal. « Depuis trois ans, lorsque l'envie le prend, il note ce qui lui passe par la tête. Billets du jour ou de la nuit, impressions, reliquats d'énergie, projets, langoureuses tartines d'amour à l'intention de Lita, lettres pour sa famille, prières au volcan, listes de courses. Quoi qu'il écrive, il en fait lecture à Ferdinand. Si ce dernier demeure indifférent, Théo déchire et brûle illico son message. Il ne garde que ce qui capte l'attention de l'âne. C'est son jury, son public, son auditoire. Deux oreilles dressées, un œil rond et inquiet, valent mieux que tous les éloges du monde. »

Au fil des pages, nous apprenons à mieux connaître Théo, à comprendre ce qui l’a amené à quitter ses parents, nous découvrons comment il s’est retrouvé dans ce coin perdu et comment il s’y est installé, construisant de ses mains sa cabane et la décorant peu à peu comme un minuscule palais du facteur Cheval, avec la même patience et la même ténacité.

Nous découvrons aussi le passé de la dizaine d’habitants, ce qui les a conduits jusqu’à ce lieu sauvage et isolé, ce qui les unit, avec leurs différences, et leur permet de cohabiter.

Mais, un jour, l’arrivée d’un sombre personnage vient perturber le fragile équilibre du village et le roman prend des allures de thriller. Cet étranger, gravement blessé, qui semble sortir de la forêt environnante, est accueilli et soigné. Quand les villageois comprennent qu’il apporte avec lui sa violence et sa folie meurtrière, il est déjà trop tard…

L’écriture d’Alain Cadéo, poétique et imagée, ciselée avec délicatesse pour les moments tendres ou brute de décoffrage pour les grandes colères, à la fois descriptive et introspective, relie l’homme à la nature, à l’animal, végétal et minéral. Il sait avec passion parler des pierres qui jouent sur ce volcan un rôle important. « Même le fait de dégrossir un bloc, de le tailler, dépend d'une entente préalable, d'une étroite connivence entre une main toute d'intuition et un réseau mystérieux de veines et de nerfs, de fissures, de fragilités, de porosités, de poches, de bulles qui sont autant d'histoires secrètes, cachées dans la matière. On ne tape pas comme un sourd sur une pierre. On écoute, on tend l'oreille, on y va souple, on serre les dents parfois. A chaque coup porté, on a une réponse. C'est oui, c'est non ou c'est "peut-être". On ne sait pas toujours. Et l'on se plie aux caprices d'une âme qui quelques fois se brise net... et il faut tout recommencer. »

Chaque roman de cet auteur est décidément un grand bonheur de lecture, une belle aventure humaine et littéraire.

Serge Cabrol 
(02/12/19)   



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La Trace

(Novembre 2019)
424 pages - 21 €








Alain Cadéo
a publié des nouvelles, plusieurs romans et des textes pour le théâtre.






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