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Nous sommes au Chili. Ernesto, astronome dans un modeste observatoire de Quidico, petite ville côtière où il vit seul avec son chat nommé Crabe, attend le remplacement de la lame de son vieux télescope Walter. C’est un homme hors du monde et du temps qui, outre les heures passées à étudier le ciel, aime à faire de longues marches là où ses pas l’emmènent en terre Mapuche. Son seul ami, Diego, est un aborigène respectueux des traditions. Il sculpte des troncs d’araucarias de plus de cinq mètres pour en faire des totems ensuite dressés en groupe sur un promontoire le visage tourné vers l’Île des Morts. L’économie de mots dont Antoine Choplin a fait sa marque correspond à merveille à la pudeur des sentiments et la réserve qui caractérisent les deux protagonistes. De son style simple et limpide où les phrases semblent couler toutes seules, avec cette retenue qui l’amène à suggérer plus qu’à dire, avec la lenteur qui convient à ces êtres blessés et hésitants qui arpentent côte à côte sans se hâter rues et chemins, l’auteur colle au plus près de l’intimité et de la psychologie de ces personnages qu’il met en scène avec une notable bienveillance. En mêlant les dialogues, travaux d’approche ou confessions feutrées, au récit, il imprime à celui-ci une fluidité musicale générant dans son sillage de petites notes d’espoir et de joie en contrepoint à la noirceur du contexte historique. L’inventaire de mots-clefs qui chapeaute chaque chapitre comme un jeu de piste non dénué de mystère semble aussi dans sa forme faire écho à la longue liste de noms gravés sur le mur des disparus de Pinochet dans le vieux cimetière de Santiago de manière non plus dramatique mais ouverte et apaisée. Pour toutes ses raisons, le poids de la dictature de Pinochet et du drame des disparus évoqué ici en creux et en clair-obscur plus qu’avec violence, si le sujet garde toute son actualité et sa dénonciation toute pertinence à l’heure où la Cour suprême du Chili accorde une libération conditionnelle à des détenus condamnés pour des crimes contre l’humanité commis sous Pinochet, n’écrase pas le roman mais laisse place au présent et au devenir. L’intimité tissée de mystère et de sensualité des amoureux, le rapport intense et ébloui à la nature entretenu par le héros mais incarné aussi par les Mapuches lors de la cérémonie de replantation d’essences traditionnelles dans la forêt, la visite culturelle des villes chiliennes proposée au rythme de la flânerie, ouvrent le récit à l’imaginaire offrant au lecteur la possibilité de vagabonder en toute liberté d’une image à l’autre, d’une scène à l’autre, porté par la musique et l’atmosphère du récit vers l’émotion. À la barbarie, l’écrivain choisit d’opposer la présence lointaine mais fascinante des astres, la grâce de l’éveil amoureux, la beauté sauvage des paysages, substituant au passé tragique un présent de paix et d’espoir. La scène très cinématographique d’Ema qui danse entre les totems de Diego en est une parfaite illustration. Les livres d’Antoine Choplin exercent décidément chez ses lecteurs une magie singulière qui ne cesse de se renouveler à chaque lecture. Court, dense, terrible et lumineux, ces cent trente-cinq pages à déguster lentement pour ne pas en atteindre la fin trop rapidement constituent un très grand roman où l’histoire de la dictature chilienne qui divise aujourd’hui encore le pays, les luttes et la culture Mapuche opposés à l’exploitation industrielle de la forêt qui pose de sérieux problèmes environnementaux et assèche les réserves d’eau, s’entremêlent de façon sensible, belle et profonde avec une histoire d’amour. Un livre sobre et élégant comme cet éditeur lyonnais a l’habitude de nous en offrir, un roman délicat au titre parfaitement trouvé à lire et relire sans modération. Dominique Baillon-Lalande (29/03/19) |
Sommaire Lectures La fosse aux ours (Janvier 2019) 144 pages - 16 €
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