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Julien DUFRESNE-LAMY


Jolis jolis monstres

Un roman passionnant et émouvant, joyeux et profondément humain, au cœur d’un univers souvent mal connu, mal compris, parfois moqué ou méprisé, celui des drag-queens, ces garçons qui ressentent l‘irrésistible besoin d'incarner un personnage féminin extravagant, excessif, de se donner en spectacle et de monter sur scène pour exprimer par la danse, le chant ou le sketch, toute la complexité de leur rapport au monde. Beaucoup de rêve et de souffrance, de désir et d’humiliations, beaucoup de travail et de passion aussi pour que leur double artistique, leur reine, leur « monstre », soit original et convaincant.
L’auteur situe le roman aux Etats-Unis, des années 80 à nos jours, trois décennies où alternent l’esprit de fête et la douleur. Nous accompagnons les drags dans les clubs où elles font naître un art nouveau qui se répandra dans le monde entier mais nous partageons aussi leur angoisse devant cette maladie inconnue qui a décimé leurs rangs comme une punition divine.

Le prologue met en scène le jeune serveur d’un bar et un client plus âgé. Nous apprenons très vite que le client s‘appelle James, il est le narrateur de la première partie. Victor, le serveur,  sera au cœur de la deuxième.

Avec James, nous remontons trente ans en arrière quand il est arrivé à Manhattan,  débarquant de sa Géorgie natale pour vivre enfin son rêve en toute liberté et quitter chaque soir son existence de jeune garçon noir pour devenir Lady Prudence et monter sur scène.
James explique à Victor ce que signifie réellement cette métamorphose. Ce n’est pas un travesti, un déguisement, un jeu, l’interprétation d’un rôle, c’est la création d’un véritable double total, physique et mental, un personnage, un « monstre », qui est une autre facette de son être et qui mène une vie autonome. Le garçon peut être homo ou hétéro, qu’importe ; sa drag, elle, ne vit que pour le spectacle et l’expression artistique.
Avec Lady Prudence, nous découvrons la galère quotidienne pour trouver des engagements, pour se payer le maquillage, les costumes, les accessoires indispensables à la magie du spectacle mais aussi les solidarités qui se construisent, comme ces « maisons » que certaines queens créent et dirigent d’une main ferme pour accueillir les jeunes de la rue qui deviennent ainsi les enfants d’une véritable famille. Les « maisons » s’affrontent dans des concours aux multiples épreuves donnant lieu à des récompenses prises très au sérieux. Toujours ce mélange de fête et d’humanité, de compétition, d’affrontement et de complicité, d’amour, d’amitié et de rivalité.
James raconte aussi son enfance dans les années soixante entre une mère jardinière accroc aux drogues dures et un père éleveur de chevaux au tempérament colérique. Un jour où James, vers l’âge de cinq ans, s’était glissé dans la chambre de ses parents et habillé avec des vêtements de sa mère pour voir l’effet dans un miroir, son père l’a attrapé par une jambe, soulevé de terre et, après avoir traversé la maison, l’a balancé dans la grosse poubelle aux déchets de la ferme. « Les pédales, on les fout à la benne. Sinon on les saigne »
C’est une de ses tantes qui l’a sorti de cette famille "frappadingue" quand il avait dix ans mais elle est morte quatre ans plus tard et il s’est retrouvé à la rue où il a rencontré "les cinq L.", des drag-queens qui l’ont recueilli. C’est là qu’il a découvert et compris leur univers. Quelque temps plus tard, il file sur New-York où il crée et affine son personnage de Lady Prudence.
Mais des nouvelles inquiétantes commencent à circuler. « Certains d'entre nous se sentent patraques. Coups de froid. Des douleurs. Des difficultés à respirer. Les mecs prétendent que ce sont des rhumes, des grippes, des riens du tout, si bien que les clubs nous réclament en masse, Venez nous divertir, les filles, montez là-haut, s'il vous plaît, faites-nous oublier les rhumatismes. »
Des amies lui racontent que « les soins intensifs des hostos sont pris d'assaut par des cas d'étranges pneumonies.
Quelques jours plus tard, Lawrence Mass, du New York Native est le premier à écrire sur la pandémie. Tout est exagérément flou. »
« Quand les journaux nationaux reprennent le sujet, on prévient la belle Amérique blanche du danger. Voici qu'ils l'appellent le "cancer gay". La presse légende : "Ceci est votre cancer, votre maladie, votre fin de course. Attention à ne plus nous toucher."
Nous devenons la cible. »

Victor a eu lui aussi une enfance difficile dans le barrio latino de Los Angeles gangrené par la violence et la prostitution. Il a commis son premier vol à douze ans, a rapidement rejoint un gang et s’est retrouvé en prison pour mineurs. C’est une balle de six millimètres qui met fin à sa carrière d’apprenti-gangster. Il échappe miraculeusement à la mort et décide « d’arrêter les conneries ». Il a seize ans quand sa petite amie, Kate donne naissance à une petite fille prénommée April. Huit années passent et tout pourrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes mais le « monstre » qu’il a en lui l’obsède de plus en plus. Il rêve de monter sur scène et faire rire le public. Son truc à lui, c’est l’humour, l’ironie, le texte acide, moqueur, incisif. Il note toutes les idées susceptibles d’étayer un  sketch et il achète une robe verte.
« La robe te sied. Rien à voir avec la gêne et la disgrâce. Tu te sens bien. Tu avances et ton salon se change en un boudoir anglais entouré de coussins en satin rose, de bouquets de fleurs, de boutons de porte en porcelaine et d'une belle cheminée ocre sur laquelle roupille un bleu russe. Tu marches sur le tapis d'Orient et ton monstre naît.
Tu l'entends. Il est là.
Tout à coup, le boudoir devient scène. Tes premières vannes se forment dans ta tête. Présentez armes. En joue. Feu. Tu tiens un charro à la main, un sac de dame sur l'épaule, et, sous les projecteurs, tu vas envenimer chaque spectateur, prêt à pulvériser l'immensité. »
Il est temps de quitter la maison sur la pointe des pieds sans un mot à Kate et April.
À New-York, il trouve un emploi de serveur dans un bar et il y a cette rencontre déterminante avec James, le vieux client qui lui raconte sa vie et décide de devenir son mentor. Mais les temps ont changé, de nombreux clubs ont fermé et la télé-réalité s’est ouverte aux drag-queens. Une nouvelle aventure pour Victor devenu Mia de Guadalajara…

En fin d’ouvrage, la réalité rejoint la fiction et une quarantaine de photos montrent les drag-queens que James et Victor ont rencontrées au fil de leur parcours newyorkais.
Julien Dufresne-Lamy réussit un roman original, captivant et émouvant. Un coup de cœur parmi cette rentrée littéraire, un auteur à suivre !

Serge Cabrol 
(04/11/19)    



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Lectures







Julien DUFRESNE-LAMY, Jolis jolis monstres
Belfond

(Août 2019)
416 pages - 18 €


Julien DUFRESNE-LAMY, Jolis jolis monstres
Harper Colllins

(Août 2020)
336 pages - 7,90 €



















Julien Dufresne-Lamy
a publié quatre romans en littérature générale et trois romans pour adolescents.


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