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Éliane SERDAN


L’Algérois

L’Algérois, c’est Jean Lorrencin, un adolescent qui, après la mort de son père, a quitté l’Algérie avec sa mère pour se réfugier dans une petite ville de Provence à la rentrée scolaire 1962. Son arrivée va bouleverser la vie de Marie et Simon, deux lycéens dont la relation amoureuse n’est un secret pour personne.

Jean Lorrencin, nous apprenons à le connaître par le regard des autres. En effet, la construction du roman donne la parole successivement à trois narrateurs.

La première partie est une lettre de Marie qui répond à un courrier récent de Simon. Cinquante ans ont passé, Marie est atteinte d’une maladie incurable et c’est pour cette raison qu’elle accepte de répondre à son ancien petit ami.
Elle rappelle leur amour d’adolescents qu’elle pensait éternel. « Ma seule certitude venait de toi. Tu étais près de moi depuis des années, il était impossible d'imaginer que tu puisses jamais être ailleurs. Le lien qui nous unissait ne pouvait être rompu. Il était infrangible. »
Elle raconte l’arrivée de Jean, la façon dont il a su séduire Simon et faire exploser le jeune couple. Elle évoque aussi la seule personne auprès de qui elle a pu trouver un peu de réconfort, Paul Bosselet, le bibliothécaire qui la guidait presque paternellement dans ses choix de lectures.

La deuxième partie est constituée par le journal que le bibliothécaire a tenu en 1962, où il raconte au jour le jour ses rencontres avec Marie mais aussi avec Jean Lorrencin. Le jeune homme était venu le voir à la bibliothèque. « Il souhaitait retrouver des articles de Brasillach parus dans Je suis partout. Je me suis levé. La bibliothèque ne possédait pas cet hebdomadaire. Il n'ignorait sans doute pas que Brasillach avait été fusillé à la Libération. Il a ouvert la bouche. D'un geste, je l'ai arrêté et je me suis dirigé en silence vers la porte que j'ai ouverte. Sur le seuil, en me tendant la main, il m'a annoncé qu'il reviendrait. Je n'ai pas répondu. »
L’hostilité du bibliothécaire est aussi liée à son passé. Il s’en explique dans son journal où il dresse un portrait très noir de Jean, sa haine et sa violence, ses efforts pour constituer un groupe de jeunes fascistes et créer un journal d’extrême-droite. Après la mort de Paul Bosselet, sa veuve a envoyé le journal à Marie qui le joint à sa lettre à Simon.

La troisième partie est la lettre de Simon à Marie où il donne son point de vue sur toute cette période, sa rencontre avec Jean et la fascination que l’Algérois a très vite exercée sur lui. « J'avais neuf ans lorsque nous étions arrivés du sud de l'Italie. Mon père avait fait d'abord des travaux agricoles avant d'être engagé comme ouvrier maçon. J'avais deux sœurs plus âgées. Nous avions vécu pauvrement dans les quartiers sombres de la vieille ville, pendant des années. À l'école, il avait fallu subir les sarcasmes à l'usage des « macaronis ». J'en avais conclu que mes origines étrangères, nos pauvres revenus, m'interdiraient à tout jamais de pénétrer dans des milieux sociaux que je jugeais supérieurs.
La rencontre avec Jean, neveu d'un avocat possédant une magnifique maison sur le boulevard, m'apparaissait comme le sésame dont je n'avais jamais osé rêver. »
« À son prestige social s'ajoutait une culture très supérieure à la mienne et un niveau de réflexion politique qui m'ont impressionné dès les premières discussions. »

L’adolescence, l’amour, l’amitié, la séduction, la jalousie, ce sont tous ces thèmes qui sont mêlés ici mais dans le contexte historique de la fin de la guerre d’Algérie et de la haine qui a longtemps opposé les partisans de l’indépendance à ceux de l’Algérie française.
Le portrait de cet Algérois décrit par le regard des trois narrateurs est une belle réussite romanesque. Sa beauté angélique, sa perversité, sa violence en font un personnage fascinant et contrasté auquel les deux adolescents sont prêts à céder au risque de le regretter toute leur vie.
Après La ville haute (chroniqué ici), ce cinquième roman d’Éliane Serdan vient enrichir un beau parcours littéraire que nous ne manquerons pas de continuer à suivre avec beaucoup d’intérêt.

Serge Cabrol 
(26/07/19)    



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Lectures








Serge Safran

(Juin 2019)
160 pages - 15,90 €













Éliane Serdan,
née en 1946 à Beyrouth,
a passé son enfance à Draguignan, avant de faire des études de lettres à Aix-en-Provence et une maîtrise de cinéma à Montpellier. L’Algérois est son cinquième roman.



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d'Éliane Serdan :
La ville haute