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Dominique FORTIER

Au péril de la mer



Avant même d’ouvrir le livre de Dominique Fortier, grâce à sa couverture, le lecteur est plongé au cœur du récit et de sa beauté. Un tableau d’une exécution virtuose, une jeune femme de profil au visage d’une magnifique pureté, un titre un peu énigmatique mais évocateur.
Tout est là devant nos yeux : la Peinture, la Femme, la Mer.
Tout, non ! La figure majeure du roman ne va se dévoiler qu’une fois la lecture entreprise. Les premières lignes préparent à une découverte grandiose : « coup de foudre » « émerveillement si profond » « stupeur » « ébloui »... Quand enfin, Il est nommé : le Mont-Saint-Michel !

Mais s'agit-il bien d’un roman ?
Oui, et non ! Et dès le début du récit, le lecteur est averti par l’auteure : “Pendant le premier été de ma fille, tous les matins nous partions en promenade. Après quelques minutes, elle s’endormait dans sa poussette... Je m’asseyais sur un banc à l’ombre d’un arbre, je sortais du sac de la poussette un petit Moleskine et un stylo-feutre, et je poursuivais comme en rêve cet homme vieux de plus de cinq siècles, qui vivait entre les pierres du Mont-Saint-Michel... Ce calepin était moitié roman et moitié carnet d’observations, aide-mémoire.”

C’est dans ce rêve que l’écrivaine va puiser une trame romanesque, et c’est dans ses notes qu’elle va livrer ses propres réflexions.
Deux démarches apparemment bien distinctes, et pourtant non... Elles se juxtaposent, se confondent, se fondent ; tant et si bien que nous lecteurs, discernons rarement l’une de l’autre au premier abord.
Il nous faut un temps d’adaptation pour sortir du flou initial et distinguer le sujet et la temporalité des lignes qui s’offrent à nos yeux.
Qu’y a-t-il là d’étonnant ? Ne sommes-nous pas en chemin vers la baie et le Mont qui ne se laissent réellement distinguer qu’après avoir émergé tantôt du brouillard, tantôt de l’eau, du sable, du ciel ? Le Mont, ce “roc qui devenait église pour grimper vers le ciel” ne se livre pas au premier coup d’œil et surtout ne se révèle jamais tout à fait. Il est fait de légende et d’histoire.

L’histoire, ou plutôt, les histoires, nous les abordons dans un mouvement de va-et-vient, comme soumis aux marées.

Le récit romanesque est narré par Éloi, jeune peintre du XVe siècle, en proie à un inconsolable chagrin d’amour. L’errance de ses pas l’amène sur le Mont. Il survit en ce lieu dans un état de flottement psychologique. Flottement qui s’accorde à son nouvel univers instable, bâti entre ciel et mer, isolé du monde, livré à mille périls, maintes fois détruit mais toujours debout, même si sa gloire passée n’est plus que fantomatique.

Le récit documentaire est narré par l’auteure. Toute jeune maman, elle se consacre à sa fille, et pendant que son bébé fait sa sieste dans un parc au Canada où elles vivent, l’errance de ses pensées la conduit sur le Mont. Elle garde un souvenir ébloui et fondateur de cet endroit où son amoureux la demanda en mariage.
Mais elle s’interroge, justement, sur la pérennité de cet éblouissement. Ce lieu qu’elle jugea “majestueux, souverain, grandiose” ne la décevrait-il pas maintenant ?

En marge d’une introspection sur l’évolution de sa vie, sur l’impermanence et l’instabilité de sa propre situation, Dominique Fortier se relie au Mont-Saint-Michel, pour en explorer toutes les dimensions : historiques, architecturales, littéraires... Elle fait la part belle à l’histoire du Livre (avec un L). Le sujet y est propice : au XIIe siècle, l’abbaye était surnommée “la Cité des livres... L’abbaye a pendant des siècles abrité l’une des bibliothèques les plus importantes du continent et un scriptorium où l’on venait traduire le grec et l’arabe...”
L’auteure est dans son domaine ; grande connaisseuse et amoureuse des mots, elle s’attache à fournir régulièrement des explications linguistiques, étymologiques pour donner toujours plus de sens au récit.
Récit qu’elle appuie sur un langage, tantôt ciselé et poétique, tantôt direct et factuel.
 
L’apparente dualité dans laquelle elle entraîne le lecteur reflète cette sorte d’entre deux eaux où elle flotte. Elle l’exprime d’ailleurs sans ambiguïté : « Mon temps autrefois m’appartenait entièrement, et aux livres. Aujourd’hui, chaque minute consacrée à lire ou à écrire est une minute que je ne passe pas avec ma fille ; l’écriture s’accompagne désormais d’une hâte et d’une culpabilité détestables. »

Aussi Dominique Fortier considère-t-elle l’aboutissement de ce roman comme une gageure destinée à lui prouver que sa capacité de création littéraire n’a pas été annihilée par son acte de procréation.

Il est à parier que sous son titre Au péril de la mer est enfouie une interrogation autrement psychanalytique : Au péril de la mère ?

La réponse est contenue dans les distinctions et les critiques extrêmement positives reçues par cet ouvrage !

Catherine Arvel 
(24/07/19)    



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Dominique FORTIER, Au péril de la mer
Les escales

(Mai 2019)
208 pages - 17,90 €









Dominique Fortier,
née à Québec, vit aujourd’hui à Montréal. Après un doctorat en littérature française, elle exerce notamment le
métier de traductrice.
Au péril de la mer est
son quatrième roman.