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Valentine GOBY


Murène


Comme Valentine Goby sait si bien le faire, elle aborde un thème qui est terriblement douloureux et pourrait rebuter les lecteurs mais dès les premières pages elle nous entraîne dans une extraordinaire aventure.

Nous rencontrons François Sandre qui, après un dramatique accident, perd ses deux bras et épaules ainsi que la mémoire de certaines périodes de sa vie : « Où vont les souvenirs quand l'oubli les dévore, en vide le cerveau sans y laisser la moindre empreinte, pas même l'infime trace calcaire dont la neige signe son passage, elle, après s'être évanouie. »

Le roman se situe en 1956 et à cette époque les appareillages proposés aux mutilés civils ou de guerre ne permettent pas encore de réhabiliter toutes ces personnes qui ont perdu une ou plusieurs parties de leur corps.

Dès le début du roman, nous percevons qu’il y a de l’espoir dans cette noirceur qui envahit la vie du personnage. Nous participons à son combat pour exister malgré tout et surtout devenir invisible aux yeux des autres car il est perçu comme un monstre quand il sort dans la rue.

Bien sûr, il y a des moments de désespoir, de déni, d’abandon, de passivité : « Ils sont bien décidés à lui rendre ce corps. Il ne fait aucun effort, il les a prévenus : ne comptez pas sur moi. On masse ses chevilles, ses pieds. On étire ses muscles en douceur: On mobilise une à une les articulations des jambes, il est complètement passif, c'est eux qui font le travail. » Mais peu à peu François n’aura qu’une obsession, redevenir autonome. Avec l’aide de sa sœur et de ses parents il inventera une multitude de dispositifs pour remplacer ses bras et ses mains. « Vivre exige un effort colossal. »

Il rejoint aussi l’Organisation sportive des mutilés ce qui lui ouvre de nombreuses possibilités. Il apprend à nager et participe à des compétitions.

« Et il rappelle la devise de de Lattre qui a porté son engagement contre Hitler : "Ne pas subir."
– Le but, c'est aussi de reprendre sa place dans la communauté des gens normaux. Vous comprenez ? De se réintégrer, de refuser l'exclusion sociale. La norme est clairement établie, deux bras deux jambes greffées à un tronc, l'ensemble complètement fonctionnel, plus on s'écarte du modèle dominant plus on glisse vers l'exclusion. »

C’est un roman passionnant et encourageant où le désir de vivre permet de surmonter de nombreuses épreuves. Toutes les possibilités de l’être humain sont mises en valeur. Nous apprenons beaucoup sur le fonctionnement des muscles, sur les os, sur les prises en charge médicales, sur l’évolution des activités sportives pour les personnes mutilées, au fil des ans…

Des énumérations à la Prévert distendent le temps pour nous faire ressentir cette vie forcément au ralenti où tous les repères ont été modifiés. Une belle énergie se dégage de ce roman qui se lit avec grand intérêt.  

« La sensation de ghetto s'estompe. La honte le quitte. Il se concentre sur la nage, aveugle aux moignons qui l'entourent, il n'a d'autre pensée dans le bassin que l'exécution d'un mouvement fluide. Il pense à la murène de l'aquarium, porte Dorée, non à la laideur de sa gueule, le corps reclus dans les anfractuosités de la roche, le bec à peine pointé vers dehors, mais à sa pavane suave. »

Brigitte Aubonnet 
(28/08/19)    



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Lectures








Actes Sud
(Août 2019)
272 pages – 19,80 €





Valentine Goby,
née à Grasse en 1974.
a déjà écrit près d'une quarantaine de livres,
pour les adultes et pour la jeunesse, et obtenu plusieurs prix littéraires.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia



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