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Le roman débute à l’enterrement de ce père qui respectait son travail et ses employeurs et que les autres respectaient avant que l’usine se mette à dévorer ses salariés, cadres et ouvriers. Aurore, sa fille qui a toujours maintenu le contact avec lui de la ville où elle a étudié à l’université avant de s’y installer pour son travail, a assisté impuissante et en direct à cet effondrement paternel. « Parler de nous frontalement était impossible. Là où nous pouvions nous rejoindre c’était sur une conception commune du travail, enfin du vivant un peu, des humains dans les relations qu’ils nouent avec les autres et qui les occupent quand même à peu près dix heures par jour. (…) Alors je l’écoutais raconter comment tout cela – son monde – se modifiait, prenait la forme de quelque chose de complètement déconnant : les évaluations annuelles, les objectifs démentiels, les qualités ou les défauts dont il fallait se targuer ou bien se défendre, le jeu même pas amusant qui consiste à dire sans dire, le respect d’une putain de hiérarchie qui n’a même pas la décence de se reconnaître comme telle. » Le jour de l’enterrement, au chagrin du deuil vint s’ajouter un imprévu qui fera déborder la rage d’Aurore : la présence aux obsèques, insupportable pour elle qui en avait tant entendu parler, de cette Directrice des Ressources Humaines qui avait refusé au père sa dernière augmentation automatique « parce qu’il était vieux » (entendre ‘désormais inutile’) et avait œuvré pour son licenciement, venue dans son tailleur chic et avec une mine affectée rendre un dernier hommage au mort au nom de l’entreprise. C’en était trop. Après avoir exprimé de façon froide et cinglante son mépris à la représentante de la direction à la présence inopportune, elle la virera sans préavis de la cérémonie, en un ultime cadeau au père : « J’espérais qu’il avait vu, ressenti peut-être, dans son état de solidification calme, la furie de la position du vengé. » Mais Aurore la rebelle ne s’enferme pas dans ce seul rôle de légataire d’une mémoire ouvrière et d’une colère de classe. Elle tisse un pont entre cette réalité et l’actualité du secteur public en se focalisant sur le monde enseignant et l’Éducation nationale qui utilise aujourd’hui ces mêmes méthodes du privé dans sa gestion des professeurs recrutés en CDD, comme elle l’a été elle-même avant l’obtention de son concours. Sans concession, la jeune femme creusera le même sillon jusqu’à dénoncer la dégradation et la férocité du monde du travail auquel la jeune génération est aujourd’hui majoritairement confrontée. Plus généralement encore, c’est avec la société contemporaine dans son ensemble, ancrée dans le respect de l’autorité, de la hiérarchie, du pouvoir et de l’argent, devenant plus inhumaine et folle d’année en année, qu’elle règle ses comptes non sans une certaine violence verbale. S’intercalent des scènes tragiques, dignes des nouvelles noires de Jean-Bernard Pouy cité dans le roman, comme celle du « gentil voisin » qui s’est pendu dans son garage la seizième année de la narratrice. « L'existence c'est des voisins qui décorent des sapins quand d'autres, de l'autre côté de la clôture, tout près, se pendent dans des caves où l'on range aussi des guirlandes et des cordes. » En contrepoint, des scènes loufoques comme celles des pages Facebook d’un grand-père facétieux à tête de ragondin ou de l’exercice anti-terroriste imposé aux élèves qui virera à une catastrophe au format sketch, détendent l’atmosphère et déclenchent à coup sûr le rire. L’écriture de ce premier roman, mélangeant références culturelles (notamment à Cabu et Charlie), journal intime, trivialité, réflexions, oralité, images, ellipses, est parfois chaotique mais toujours dynamique, éminemment contemporaine et littéraire. Dominique Baillon-Lalande (19/10/19) |
Sommaire Lectures Mercure de France (Août 2019) 120 pages - 12€ Aurore Lachaux Compléments du non est ron premier roman. |
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