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James LOVEGROVE


Sherlock Holmes et les ombres de Shadwell
Sherlock Holmes et les monstruosités du Miskatonic


Rien de plus incompatible, à première vue, que l’univers où évolue Sherlock Holmes et l’univers qu’a inventé l’imagination torturée de H.P. Lovecraft. Le premier est totalement réductible au rationnel ; le mystère, le surnaturel qui peuvent apparaître dans telle ou telle nouvelle seront toujours démystifiés, au dénouement, par la logique implacable du détective. Le second, au contraire, est hanté d’horreurs indicibles qui sont un défi à la raison et qui postulent l’existence, à la lisière de notre monde, d’entités issues du cosmos et aussi vieilles que lui, le plus souvent malveillantes, d’une puissance incommensurable avec la nôtre : dieux ou démons, elles ont nom Cthulhu, Yog-Sothoth, Nyarlathotep. Ce sont les Grands Anciens, auxquels certains humains dévoyés rendent un culte secret aux pratiques abominables. Confronter le détective de Baker Street à ces horreurs irréductibles à la raison semble donc une gageure, un défi que James Lovegrove relève ici brillamment.

Dans une trilogie dont n’ont jusqu’à présent été traduits en français que les deux premiers volumes, Lovegrove présente au lecteur des inédits posthumes du Dr Watson, dans lesquels le compagnon de Sherlock Holmes affirme que ses œuvres les plus célèbres ne sont qu’un écran de fumée, une version totalement édulcorée voire franchement mensongères des aventures qu’ont réellement vécues les deux hommes. Holmes et son ami, en effet, ont consacré leur vie à combattre les Grands Anciens et leurs fidèles, au premier rang desquels on retrouve le professeur Moriarty. On perçoit ici les écueils auxquels pouvait se heurter le romancier, dans ce qui est à la fois un double hommage et un double pastiche : il fallait éviter qu’un univers littéraire ne l’emporte sur l’autre au point de le phagocyter, et aussi que ces deux univers ne soient trop hétérogènes pour fonctionner ensemble. James Lovegrove tire élégamment son épingle du jeu, grâce à la connaissance intime qu’il a visiblement des deux œuvres. Les amateurs de l’une et   de l’autre ne seront pas déçus. On retrouve dans ces deux livres Holmes et Watson tels qu’en eux-mêmes, avec leur complicité et leur courage, l’esprit anticonformiste du premier, la loyauté du second. On retrouve aussi Mycroft, Gregson, Lestrade, tous trois conformes à l’image qu’en donne Conan Doyle et que reconnaitront les amateurs. Mais on les retrouve confrontés à des abominations hors nature qui portent pleinement la marque du gentleman de Providence, dont Lovegrove pastiche parfois le style emphatique et solennel.

Sherlock Holmes et les ombres de Shadwell ramène le lecteur à l’époque de la première rencontre entre Holmes et Watson : ils doivent élucider une série de crimes dont les victimes sont retrouvées aussi émaciées que si elles avaient  été plusieurs mois privées de nourriture ; l’enquête, qui conduit les deux hommes au plus profond des sous-sols londoniens, établira l’impensable, à savoir qu’elles ont été sacrifiées à Nyarlathotep, dit aussi l’Inexorable Chaos, par une population d’homo sapiens aux caractéristiques reptiliennes. Les amateurs de Lovecraft apprécieront tout particulièrement l’apparition du dieu aux multiples formes : « Ce fut alors que Nyarlathotep brisa la surface de l’eau. Il le fit en sortant de son corps une sorte de tentacule gigantesque, aussi épais qu’une cuisse d’homme et terminé par un œil injecté de sang qui ne clignait pas et faisait la taille d’une balle de tennis. La membrane externe de l’appendice était d’un jaune hideux qui évoquait les pires fluides que le corps humain pût produire. Le tentacule sortit donc de l’eau en se tortillant et se tendit vers la plate-forme. »

Après cette première mise en bouche, le lecteur ne sera pas déçu par Sherlock Holmes et les monstruosités du Miskatonic, dont l’action, beaucoup plus tardive, se situe en 1895. Holmes et Watson y suivent la trace d’un étudiant américain spécialisé en tératologie zoologique, qui se révèlera, lui aussi, sectateur des Grands Anciens. On découvre là tout un bestiaire   hors nature, maigre bête de la nuit, sangsues géantes de couleur rouge vif, goule et surtout shoggoth, dont l’aspect écœure et terrifie à la mesure du danger que la créature représente : « Il poursuivit le shoggoth, qui continuait à ramper avec un mouvement péristaltique gluant, à la manière de quelque gigantesque asticot sphérique. […] L’horrible créature résista aux assauts de Charley, absorba ses coups grâce à l’élasticité molle, pâteuse de son corps, et, soudain, elle sembla en avoir assez. Elle s’arrêta, et une dizaine de tentacules sortirent simultanément d’elle. »

On attend maintenant avec impatience le troisième volume de la trilogie, situé en 1910, Sherlock Holmes et les monstres marins du Sussex.

Sylvie Huguet 
(26/04/19)    



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Noir & polar








Sherlock Holmes
et les ombres
de Shadwell

Bragelonne

(Février 2018)
360 pages - 25 €



Sherlock Holmes
et les monstruosités
du Miskatonic

Bragelonne

(Février 2019)
360 pages - 25 €








James Lovegrove,
né en Angleterre en 1965, est l’auteur de nombreux romans de science-fiction dont la plupart ne sont
pas encore traduits
en français.

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