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Fielding, aujourd’hui misanthrope solitaire de soixante-dix ans, est le narrateur de cette histoire dont il fut le jeune témoin, de son enfance heureuse et tranquille au sein de de la communauté de Breathed à ce basculement dans l’horreur provoqué en 1984 par la canicule et l’arrivée de ce jeune Satan noir. « En treize ans, la seule fois où j’avais eu vraiment peur c’est quand une couleuvre d’un mètre cinquante m’avait poursuivi à travers un champ parce que je m’étais approché trop près de ses œufs. La foule était pareille à cette couleuvre, se dressant sur sa queue avec des sifflements. » Quand l’innocence s’en est allée, c’est en levant le voile sur la présence du Mal au plus profond des âmes, de la belle femme qui frappe sa fille handicapée quand elle a trop bu, du nain victime d’une trahison amoureuse que la douleur fait basculer dans la folie et la haine violente des autres, de l’ami d’enfance et de l’entraîneur sportif qui éjectent leur champion pour suspicion d’homosexualité... Et la liste semble ne jamais devoir se terminer. Breathed c’est à la fois le paradis perdu et l’enfer. Quand la chaleur met chacun sur les nerfs, l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, s’avère un bouc émissaire bien commode, surtout quand sa peau est noire et qu’il affirme être ce SAtan et Lucifer d’où il a tiré son prénom. Cette étrange histoire aux paraboles multiples aborde, au-delà de la question du Bien et du Mal toujours sous-jacente dans le mysticisme ambiant, celle du racisme, du fanatisme, de l’omniprésence des armes dans la société non seulement de l’Ohio mais de toute l’Amérique profonde. Au second plan, le lecteur y trouve aussi évoqués les thèmes de l’homophobie et du sida versus « sanction divine », du handicap et plus généralement de la différence, de la violence au sein des familles sur les femmes et les enfants. Mais face à toute cette noirceur, en contrepoint du drame, émergent une douceur et une lumière, celles de l’enfance, de la tendresse maternelle, de la chaleur du foyer, de la joie des vacances, des jeux entre frangins et des amours naissantes à l’adolescence, d’une nature propice à la découverte, de l’émerveillement et l’épanouissement des jeunes corps en toute liberté. « L’Ohio m'a façonnée en tant qu'auteur, c’est la terre d’où j’écris » précise Tiffany McDaniel dans une interview. Si la ville de Breathed n’existe pas, la description qu’elle en fait est nourrie de ses propres souvenirs de vacances dans la maison de ses grands-parents paternels en Ohio du sud. Cette sauvagerie du paysage, ces préjugés et cette violence rentrée dont elle dote les personnages de L’été où tout a fondu ne relèvent donc pas de sa seule imagination. C’est cette épaisseur et cette vérité qu’elle confère à des personnages divers et complexes, conjuguées à la durée (non seulement d’un été mais souvent d’une vie entière à travers de nombreux flash-back) sur laquelle elle les considère, qui donnent toute sa force émotionnelle à ce roman. La construction et l’écriture sont assez classiques et j’ai pour ma part trouvé dans L’été où tout a fondu une parenté avec l’univers des romans de John Steinbeck dans sa façon d’ancrer ses récits dans l’Amérique rurale de son enfance et ses descriptions à fort pouvoir évocateur mais aussi d’y mettre en scène le destin de personnes ordinaires avec un réalisme engagé et social et une perception aiguë de l’injustice. Il y a cela chez Tiffany McDaniel, ce monde rural à l’état brut, cette dureté et cette violence, ce fonds de religion qui plane sur tout avec cette opposition constante du Bien et du Mal, non avec une certaine générosité et de l’empathie dans le regard. Dominique Baillon-Lalande (17/06/19) |
Sommaire Lectures Joëlle Losfeld (Mai 2019) 416 pages - 23 € Traduit de l'anglais par Christophe Mercier
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