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Dès son recrutement le chef a attiré l’attention de sa nouvelle employée sur l’éventuelle présence d’un loup repéré par le cuisinier près des poubelles. « Autour de l’usine à quatre kilomètres à la ronde, s’étendent des champs sans relief. […] des chemins de terre les traversent et séparent maïs, céréales et colza. À l’endroit où ils s’interrompent commence la forêt. […] C’est de là que viennent les loups avait dit le chef quand il m’a fait visiter l’usine. » Les deux gardiens, chargés de surveiller avec soin le grillage, d’installer des pièges et de guetter sur leurs écrans les apparitions de l’intrus s’acquittent de cette mission originale en curieux plus qu’en chasseurs. « Je n’ai pas peur du loup. J’ai parfois peur du noir. Par-delà le grillage de l’usine, seules sont perceptibles à distance les lumières de l’aéroport. Je me demande si le loup, pour peu qu’il soit dans les parages, trouve la lumière trop vive, s’il entend le bruit des avions, si cela le dérange, l’agite ou l’inquiète […] Je me demande s’il a déjà farfouillé dans les restes de repas, s’il a erré sur les pistes de roulage, effleuré les roues des avions en stationnement. » Quand lors d’une ronde la narratrice découvre une croix à l'extérieur de l’enceinte de l'usine, elle questionne Clemens qui lui rapporte que c’est l’endroit où on a trouvé le cadavre d’un «homme tombé du ciel» il y a quelques années. Lose qui avait alors suivi l’affaire de près lui fournit le dossier constitué à partir de coupures de presse et des quelques documents qu’il avait alors collectés sur l’affaire. « Sur le mort on n’avait trouvé aucun papier d’identité. La police avait tout juste constaté qu’il portait une chaîne de cou, un tee-shirt et un jean. Il avait sur lui un billet de la banque centrale centrafricaine, sur son tee-shirt figurait le logo d’une entreprise dont paraît-il, le siège se trouve au Cameroun». Les autorités avaient donc supposé qu'il s'agissait d'un réfugié caché dans le train d'atterrissage d’un avion s’apprêtant à se poser à l’aéroport proche. La narratrice, aussi bouleversée que lui par cette histoire, marche sur ses traces : « Au cimetière, je parcours les rangées de tombes, je passe en revue les dates de décès et ces vies résumées par un tiret entre une date de naissance et de mort. Un tiret pour une vie entière. […] Je repère sa tombe à l’extrémité d’une rangée. Sur la plaque verte, il manque la date de naissance. Le tiret manque lui aussi. » « Aucune photo de l’homme tombé du ciel […] La chute et son long séjour dans la foret ont rendu son visage méconnaissable. Il n’a pas de visage, pas de nom. Sa famille ne sera pas informée de sa mort, elle ne saura pas où sa tombe se trouve.» Gianna Molinari cultive l’art de l’ellipse mais ses phrases courtes et son style minimaliste n’exclut pas des fulgurances parfois poétiques et le recours aux images. En insérant des dessins, des photos, des articles de presse en écho, elle multiplie les pistes d’approche, au risque de nous perdre parfois pour mieux susciter notre attention. Ici tout est encore possible n’est donc pas un roman psychologique et le récit ne nous apprendra pas grand-chose sur l’héroïne (et narratrice) ou ses comparses. Si Gianna Molinari la fait parler à la première personne du présent, elle ne cherche, tel l’objectif d’une caméra de télé-surveillance, ni à provoquer l’émotion ni à faciliter l’identification du lecteur avec elle. L’intérêt est ici ailleurs, dans l’atmosphère de délitement du monde du travail dans lequel l’autrice immerge ses protagonistes avec le tableau de la fermeture de l’usine de carton mais aussi dans le récit de la conquête des terres par l’homme qui chasse les animaux de leur territoire et le drame de l’émigré clandestin tombé du ciel. Cependant, là encore, Gianna Molinari, par cette multiplication même des sujets d’actualité qu’elle aborde et surtout par le traitement formel qu’elle en fait, se démarque nettement du pamphlet écologique, économique ou social que l’on pourrait attendre. Au débat et à la démonstration, l’autrice préfère l’incarnation concrète de situations aptes à illustrer les injustices ou les dangers, usant volontiers d’un art de la suggestion et d’une subtilité dont elle fait sa marque. Dominique Baillon-Lalande (04/10/19) |
Sommaire Lectures Delcourt Littérature (Août 2019) 188 pages - 18,50 € Traduit de l'allemand (Suisse) par Françoise Toraille
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