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Nadine MONFILS


Le rêve d’un fou



« Né au siècle dernier Ferdinand Cheval, surnommé "Le facteur Cheval" a passé plus de trente ans de sa vie à construire une sorte de Palais extraordinaire, tout seul, avec ses mains, ses outils et sa brouette. La plupart des gens le qualifient encore de fou, aujourd'hui. »
Dans cette fiction ce n’est pas tant l’aspect insensé de ce projet que l’homme a mené seul sur une trentaine d’années qui fait sujet que  « l’existence parsemée d’épines et de pétales » de son initiateur. Un homme marqué par un destin tragique amorcé par le décès de sa mère à ses onze ans, celui de son père à ses dix-neuf ans, de son premier fils à l’âge d’un an, de sa femme quelques années plus tard après lui avoir laissé un autre garçon trop jeune encore pour qu’il puisse le garder près de lui, et enfin d’Alice, ce rayon de soleil née d’un deuxième mariage et disparue à ses quinze ans. Certes il fallut en France attendre le début du vingtième siècle pour voir la mortalité infantile décroître et apparaître le vaccin contre la tuberculose qui emporta Alice mais le boulanger devenu facteur pour être plus disponible pour sa famille a néanmoins ressenti une très profonde douleur face à ce qu’il  vécut comme un acharnement du sort. Et ce rêve d’un palais unique qu’il laisserait derrière lui, cette passion étrange qui lui valut ensuite les moqueries des villageois l’ont sauvé du désespoir.  « Les rêves ça chasse les larmes ».  « Nous ne sommes finalement que des grands enfants qui s’inventent des fables pour ne pas hurler  à la mort comme des chiens. » « Les fées n’existent que pour nous recoudre le cœur quand il est en lambeaux. »
Et en découvrant l’homme et sa vie, ce palais de Hauterive (Drome)  effrayant et enchanteur que le facteur s’obstine chaque nuit à bâtir à l’instinct, avec les pierres glanées sur le bord de ces chemins qu’il arpente pour distribuer le courrier, trouve une âme et un souffle nouveau. « Ce palais je l’ai fait volontairement  inhabitable car je voulais qu’il abrite les songes. » « Chaque animal, chaque plante qui surgissait de la pierre était une naissance. »

Puis, quittant la réalité biographique appréhendée de façon sensible et centrée sur les sentiments, la passion et les forces qui animent son personnage, Nadine Monfils lui invente un compagnon de route : un peintre solitaire et reclus dans une vieille maison en marge du village, à la fin de la tournée journalière du facteur. Avec cet artiste meurtri par l’absence d’une fille que sa mère lui a enlevée il y a plusieurs dizaines d’années et dont il n’a depuis jamais eu la moindre nouvelle, la complicité fut immédiate. Elle se transformera au fil des rencontres en une solide amitié.   
C’est alors qu’en bonne scénariste de polar, l’auteure fera réapparaître la fille tant attendue, en faisant dialoguer à sa façon morts et vivants….


               « En fait ce palais c’est un peu un livre de pierres, avec des dessins et des mots. Un livre où on peut se promener sans avoir à tourner les pages » fait dire l’auteure à son personnage dans ce court roman dont la couverture traduit bien le caractère poétique, sensible et mystérieux.
« Moi j’étais un Petit Poucet qui ramassait les cailloux pour en faire un Palais. Mais l’ogre a mangé ma petite fille et mes bottes de sept lieues ne voulaient plus avancer. C’est là que le loup m’attendait dans la forêt. »
 
L’auteure souvent déjantée dans ses romans policiers et ses nouvelles ne pouvait que se trouver en osmose avec le fou de Hauterive et le revisiter à sa manière en laissant libre cours à son imagination tout en suscitant celle des lecteurs. La vie du facteur Cheval et de son fantasmagorique Palais prend sous sa plume la forme d’un hymne à la liberté, la création et  l’obstination dont, comme pour la construction appréciée des surréalistes et tardivement classée au patrimoine, la fantaisie n’exclut en aucune façon l’intimité et la profondeur.  « Nous sommes tous prisonniers de quelque chose, surtout de nous. Ce sont les pires barreaux à briser […] L’art et le sport sont des clefs qui peuvent déverrouiller nos portes intérieures. »  

La visite de ce « palais des mille et une nuits, grouillant d’animaux bizarres et de végétaux venus d’ailleurs » aux côtés de Nadine Monfils avec ses mots pour guide mérite le détour. Un roman  plaisant, émouvant et tonifiant.

Dominique Baillon-Lalande 
(09/10/19)    



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Éditions Fleuve

(Septembre 2019)
128 pages - 14,90 €










Nadine Monfils
est belge et vit à Montmartre.
Réalisatrice et écrivain,
elle est l'auteur d'une quarantaine de pièces de théâtre et de romans (dont la série des enquêtes du commissaire Léon).



Vous pouvez visiter
le site de l'auteur :
www.nadinemonfils.com

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