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Nadine RIBAULT


Les Ardents


Mal des Ardents : nom donné à la forme gangreneuse de l’ergotisme (intoxication par l’ergot de seigle prenant soit une forme convulsive, soit une forme gangreneuse) qui sévit sous forme d'épidémie du Xe au XIIe siècle. Appelé aussi Feu de Saint-Antoine.

Il est au Camposanto de Pise un magnifique Triomphe de la Mort, une fresque où de nobles jeunes gens à cheval, à pied, pendant une chasse, regardent tous dans la même direction : un tombeau ouvert et un squelette. Bien plus tardive que le récit de Nadine Ribault, qui se déroule au XIe siècle dans un lieu beaucoup moins méridional, les Flandres maritimes, cette fresque me hante à la lecture de ce conte cruel dont le style semble emporté par le rythme des sarabandes hallucinatoires qu'il met en scène pour défier la mort.

– La fête orgiaque au château de Gisphild pour fêter le départ à la guerre.
« Une prodigieuse farandole de créatures à moitié nues, […] tohu-bohu de têtes décomposées, de joues enflammées, de peaux envermeillées, de tailles ondulantes, de flambeaux animés, de linges qui, dans la danse, volaient et de pupilles claires qui clignotaient dans l'océan du soir. »

– Le charivari du carnaval au milieu d'un hiver atroce comme un dernier sursaut de vie.
« Les musiciens jouaient des rythmes enragés. Les pieds glissaient. On déroulait des farandoles. […] Du noir charbonneux de ces nuits, surgissaient des colonies de figures blafardes ou rouges, rigolardes et essoufflées, des nains sataniques, des vieillards à la mine pierreuse, des visages de femmes engoncés dans l'insomnie, des goitreux, les pucelles presque sans vie, des mendiants dépenaillés, des garçons mal dégrossis, de graveleuses prostituées, des tâteurs de poules, des crève-la-faim décharnés, des miséreux convulsifs se traînant par terre à l'aide de plaques de bois liées à leurs membres gourds, des Ardents qui n'avaient plus de jambe, ou plus de bras, parfois les deux, des gueux et des gueuses entraînés, pour se chauffer un peu, en des danses endiablées […] tous et toutes comme surgis de lointaines catacombes du monde. »

– La fête grotesquement hideuse des malades atteints du mal des Ardents où, torturés par d'atroces souffrances, ils semblent possédés du démon.
« Les yeux pleins de fièvre se troublaient et les voix s'en allaient et les membres cassaient brusquement comme des pieds de chaises. Une épouvantable odeur se répandait, levant le cœur de quiconque était là. Les corps étaient rouges, couverts d'ulcères. Le feu leur brûlait les entrailles. Sitôt le tronc atteint, c'en était presque assurément fini. Rongés par le mal, à bout de force, ils agonisaient et rendaient l’âme. D'autres fois, il fallait lier les malades en transe à leurs lits pour qu'ils n'allassent pas se jeter nus dans les eaux fraîches des marais où ils pourraient enfin, réclamaient-ils à cor et à cri, éteindre cet insupportable feu. »

Sur cette contrée règne par la terreur Isentraud, qui prend plaisir à assister à des séances de tortures et qu'on imagine à la semblance de la Reine dans Blanche-Neige. L'histoire ici commence où le conte finit. Le fils d’Isentraud, Ribogast, ramène sa jeune épousée chez sa mère. Aussitôt celle-ci hait l'étrangère et voit en elle la fin de son règne.
« Quand l'étrangère était apparue au château […] pour se retrouver face à Isentraud, ses sourcils, ses longs cheveux noirs et sa peau pâle dénonçant ses origines romaines, le sang d’Isentraud n’avait fait qu'un tour. »
Elle va contaminer son fils de sa haine envers Goda, la jeune épousée qu’Arbogast a ramenée des collines du Boulonnais en espérant ramener avec elle le charme de ces contrées « enjôleuses et souriantes ».
Est-ce cette haine qui va provoquer la guerre, l'hiver terrible et sans fin, la propagation du mal des Ardents ?
Est-ce la longue agonie de Goda qui fait d'elle une sainte auprès de la population ou sa manière d'accueillir ?
« Goda avait attiré à elle les pauvres gens qui avaient compris que, sur le billot de son âme, cette jeune personne frappait sans fin les coups censés trancher la gorge de ce sombre poulet qu'on appelle la détresse. »
Sont-ce les ribaudes qui poursuivent de leurs assiduités Inis, le pur chevrier ?
« Inis considérait, stupéfait, les visages égrillards qui lui tournaient autour à bride abattue. »

Est-ce l'amour brûlant qui unit la belle Abrielle, une sorte de magicienne qui connaît les simples et soigne les Ardents, au compagnon d'arme, ou presque frère, à l’ami d'enfance d'Arbogast, le beau Sire Bruny ?

Est-ce la rébellion qui couve dans le hameau de Gisphild, et le ralliement possible de ce même Bruny qui désapprouve l'attitude d’Argobast auprès de sa jeune épouse qu’il laisse dépérir dans une ferme en dehors du château ?
On ne sait. Mais le mal est dans le fruit (dans le grain en l'occurrence). Il règne en maître absolu au château sous les espèces d’Isentraud et se propage dans toute la contrée, tel le feu de l’enfer.

Nadine Ribault nous entraîne dans une fable ? Un conte ? En tout cas dans un texte poétique, brûlant.

Sylvie Lansade 
(21/10/19)    



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Lectures







Nadine RIBAULT, Les Ardents
Le mot et le reste

(Septembre 2019)
210 pages - 19 €






Nadine Ribault
née à Paris en 1964,
a déjà publié une
douzaine de livres.

Bio-bibliographie
sur Wikipédia




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