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Louis-Bernard ROBITAILLE

Un vrai salaud


Alexander dit Alex, un amoureux de Mallarmé, Stendhal et Borges qui avait rêvé après des études de lettres devenir lui-même écrivain, a vite abandonné son premier roman, inachevé du reste, dans un tiroir et c’est dans le journalisme, pour le compte de journaux londoniens, qu’il gagne sa vie comme chroniqueur mondain.
Après une année harassante, il a décidé de prendre ses quartiers d’hiver à Malagusta, « l’île aux stars » désertée en cette saison de « ses centaines de milliers de naturistes, fêtards et ravers », pour « chasser à distance les célébrités » en profitant de la beauté du paysage méditerranéen.
Il y retrouve son ami Slobo, photographe né à Sarajevo qui « a fait de bout en bout le conflit de Bosnie, d’abord comme photographe de guerre puis comme engagé volontaire », avec lequel il collabore régulièrement. Celui-ci s’est installé à l’année à Malagusta où « même à la morte saison, il a sous la main suffisamment de noms illustres, de milliardaires et de truands pour alimenter sans se fatiguer sa petite entreprise de chasseurs de scoops ». Ensemble, les deux hommes forment « une dream team redoutée au sein de la planète people ».  

Le roman commence justement par un SMS de Slobo découvert par Alex au milieu de la nuit, lui demandant de le rappeler concernant « une affaire grave et assez urgente » : La police locale a découvert le cadavre de Diouke dans un terrain vague.
Trois décennies plus tôt, le journaliste avait partagé la vie bohème à Montparnasse avec son compatriote américain William Portelly dit Diouke, l’un venant de Toronto et l’autre de Boston. Diouke, dans le rôle du grand frère et du maître à penser, avait longtemps fasciné Alex jusqu’à ce son ami lui vole le grand amour de sa vie, la belle Rossana. Quand il l’avait recroisé par la suite, une fois tous les dix ans, c’était donc sans plaisir et non sans rancœur. Mille fois il avait imaginé avec jubilation d’horribles morts pour ce salaud qui avait détruit la jeune femme en l’entraînant dans la drogue, mais bizarrement la nouvelle de cet assassinat ne lui procure aujourd’hui aucune satisfaction. Diouke, l’homme élégant, cultivé et brillant, « grand séducteur, joueur invétéré, un peu vampire. Beau parleur et joli cœur pour commencer, assez cynique et profiteur pour conclure (…) n’a eu, sans doute, que ce qu’il méritait, mais comment peut-on mourir d’une façon aussi moche, battu à mort et abandonné dans un terrain vague ? »  

L’île est petite et Alex qui avait croisé peu de temps après son arrivée sur place le traître attablé au restaurant avec Mario Concini, « le plus génial faussaire de ce siècle » que Slobo avait vite identifié malgré son changement d’identité, l’avait revu plusieurs fois amicalement ces dernières semaines. Diouke, ancien conseiller artistique, était effectivement un proche du peintre, lui-même en lien avec un grand oligarque russe amateur d’art ayant acquis une villa sur Malagusta pour laquelle il avait commandé une réplique grandeur nature de la superbe fresque de « la villa des mystères de Pompéi ». Le milliardaire a bien évidemment pour épouse une superbe Géorgienne qui ne semble pas insensible à la compagnie du séducteur patenté.
Par l’intermédiaire de son « ami » Diouke, Alex rencontrera l’un et l’autre pour un projet d’interview exclusif...   

         Louis-Bernard Robitaille après nous avoir plongé dans le passé commun des deux hommes, suit les pas d’Alex à la rencontre de Gradomirov et Concini (seul personnage directement inspiré de la réalité) nous faisant pénétrer de près avec ce dernier le monde de la peinture, des faussaires et du marché de l’Art. En pointillé, un Diouke, alternativement conquérant ou en perdition, toujours aussi mystérieux et ambivalent, s’impose dans ce huis clos où on pressent le pire tapi derrière la porte. 
Des femmes, Rossana, Béatrice, Charlotte, Marilou et une fille (Julie, l’enfant abandonnée par Diouke), venues du passé ou du présent valsent autour du duo Alex-Diouke en arrière-plan mais de façon forte comme des ancres et parfois des anges protecteurs. Face à la lâcheté, les peurs et la prétention ou l’inconsistance des rôles masculins, ce sont ici des figures de solidité, de maturité, d’équilibre mais aussi de sensibilité, d’amour et d’indulgence qui font entrer un peu d’humanité dans cette atmosphère de déliquescence sociétale et de raison dans cette course insensée des mâles pour la puissance.    

Si l’intrigue et les protagonistes principaux du roman peuvent sembler par moments quelque peu caricaturaux, et que le style dialogué, vif et humoristique employé en rend la lecture légère et agréable, Un vrai salaud est également porteur d’une ambiguïté et d’une angoisse existentielle qui laissent entrevoir une intention moins superficielle qu'il ne paraît. La chute où l’auteur s’amuse à contredire le titre même de son roman en bouleversant l’image de Diouke qu’il a cultivée jusqu’aux toutes dernières pages, vient ainsi bousculer le lecteur de façon magistrale. Le tableau est plus fouillé et plus riche que l’intrigue elle-même et les apparences peuvent s’avérer bien trompeuses.

Ce roman acide qui joue avec les clichés du polar et semble ne vouloir que nous divertir est aussi une passionnante immersion dans le monde contemporain de l’Art et une satire de notre société dont la désespérance pointe sous la drôlerie.

Dominique Baillon-Lansade 
(25/11/19)    



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Noir sur Blanc

(Octobre 2019)
Collection Notabiia
256 pages - 16 €















Louis-Bernard Robitaille,
écrivain et journaliste québécois, installé à Paris depuis 1972, a déjà publié une quinzaine de livres.

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