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Claude DARRAS


Louis TONCINI
le maître de Rive-Neuve



Après le très bel ouvrage consacré au peintre chinois Zhou Shichao (dont nous avons rendu compte ici), Claude Darras nous présente, chez le même éditeur, un peintre marseillais, Louis Toncini (1907-2002). Ici encore, près de trois cents pages de superbes reproductions en couleurs des œuvres de l’artiste et, en alternance, au fil de quatre parties, une monographie d’une cinquantaine de pages pour accompagner « le maître de Rive-Neuve », « peintre prolétarien » issu de l’immigration italienne qui a passé toute son existence à Marseille et participé activement à la vie économique, politique et artistique de la cité.

Louis Toncini naît à Marseille en 1907 de parents émigrants italiens. Le père tient une épicerie puis travaille dans une huilerie-savonnerie. Grâce à quelques encadrés, l’auteur nous donne des informations sur l’immigration italienne ou le savon de  Marseille.
Dès l’école primaire, les instituteurs s’étonnent des aptitudes de Louis, notamment en dessin, peinture ou modelage, trois activités qui vont prendre une place primordiale dans sa vie. Au patronage, c’est le curé qui l’incite à suivre les cours du soir de l’école des beaux-arts de Marseille et parvient à le faire inscrire malgré son jeune âge.
Dans la journée, Louis est apprenti-staffeur dans une entreprise de sculpture et décoration. Moins couteux que le stuc (à base de poudre de marbre blanc), le staff (mélange de plâtre fin sur une armature) est un matériau léger et souple apte à fabriquer des pièces de faible épaisseur, généralement à partir de moules. En 1924, Louis maîtrise suffisamment les techniques pour procéder à la mise en place d’un grand bas-relief exécuté par Antoine Bourdelle et dominant l’ouverture de scène de l’opéra de Marseille. L’année suivante, à 18 ans, en fin d’apprentissage, il est embauché par la SCOP, une entreprise coopérative de staff d’ornementation.
Mais, s’il apprend et pratique avec talent la sculpture et le modelage, c’est la peinture qui l’intéresse rapidement, attiré par la couleur et les rapports de tons.

C’est aux beaux-arts que louis Toncini rencontre Simon Auguste et Antoine Serra. Tous trois se fédèrent en un mouvement coopératif baptisé « les Jeunes Peintres » pour exposer leur travail et créer un « Salon des échanges » où les tableaux sont troqués contre des objets, des vêtements ou des victuailles.
« À cette époque, l’art officiel en vogue nous irritait. On voulait sortir du conventionnel et faire une peinture d’ouvriers. » L’expressionnisme et le fauvisme, avec le recours aux couleurs violentes et l’abandon du naturalisme, restent leurs grandes influences. Par contre, ils accusent l’impressionnisme de n’être qu’une modalité de la copie de la nature.
En 1933, l'étiquette laconique des « Jeunes Peintres » disparaît au profit des « Peintres prolétariens ». La lutte contre le fascisme et l'exaltation du monde du travail conditionnent la profession de foi du groupe ainsi rebaptisé qui se réclame de l'idéologie du parti communiste français (PCF). Mais en 1934, le galeriste Albert Detaille, qui les expose pour la troisième fois, les persuade de choisir une appellation plus consensuelle. Ils deviennent alors les « Peintre du peuple ». Le groupe existera jusqu’à la mobilisation  en 1939.

Après la victoire du Front populaire, en 1936, Marseille inaugure sa première Maison de la culture en présence de Louis Aragon et Louis Toncini en devient co-directeur.
« Les années trente déterminent dans son œuvre peint, dessiné et gravé, une parenthèse thématique où il montre le monde du travail, les quartiers populaires, les voileries et les tanneries, les usines et le port marchand. »

En 1937, la démission du directeur de la SCOP (où Louis travaille depuis ses 18 ans), des querelles internes et des difficultés économiques font envisager la liquidation judiciaire et le licenciement du personnel. Avec le soutien de la quarantaine d’employés, Louis Toncini fait le choix du sauvetage de l’entreprise dont il prend la direction et qu’il dirigera jusqu’à sa retraite en 1977. Plus qu’un emploi, c’est une aventure collective. La SCOP, dont quasiment tous les ouvriers sont communistes, cachera des armes et des explosifs pour la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale. Elle fabriquera aussi des décors pour le théâtre et le cinéma, notamment pour Marcel Pagnol.

Après la guerre, Louis Toncini installe son atelier sur le quai de Rive-Neuve, le long du Vieux-Port. « Louis Toncini, le maître de Rive-Neuve ? L'intitulé de notre ouvrage entend souligner la représentativité d'un homme qui condense à la fois dans son individualité et dans sa création l'esprit des lieux – un quartier de la rive gauche fréquenté par les peintres dès le milieu du XIXe siècle – et l'âme de Marseille, une cité portuaire dont seuls les Marseillais savent dire la gravité et la mélancolie. »

Claude Darras sait à merveille nous guider au sein d’une œuvre foisonnante et nous en présenter la diversité, qu’il s’agisse de sites et paysages, de bouquets floraux, de nus, de portraits et autoportraits, de scènes d’intérieur ou de bateaux…

La qualité du texte et des centaines de reproductions en couleurs justifient entièrement l’avis de Michèle Benoit-Toncini, fille de l’artiste, qui a préfacé le livre : « Cette monographie, qui va devenir une référence, donne enfin à ce peintre qui était mon père toute sa place. Et même s’il n’aimait guère parler de lui, je suis certaine qu’il en serait heureux et fier. »

Un bel ouvrage à lire et regarder et une bonne idée de cadeau si on veut vraiment faire plaisir autour de soi.

Serge Cabrol 
(01/07/19)    



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Lectures










HC éditions

(Mai 2019)
288 pages - 45 €








Claude Darras,
né en 1948,
après avoir été journaliste et enseignant,
est critique d'art
et chroniqueur littéraire.



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