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L’immeuble où habite Andrea est au centre du roman puisque celui-ci débute à l’emménagement d’un voisin contrebassiste dans l’appartement du dessus. Le musicien c’est Alexis, un quarantenaire apparemment dépressif (le lecteur n’apprendra pourquoi qu’a la cent quatre-vingtième page) qui revient de deux ans de tournée en Europe et en Amérique du sud. »Après des années passées à fuir, n’était-il pas temps pour lui de s’installer quelque part ? (…) Il espérait que sa sédentarité lui garantirait la stabilité dont il avait besoin pour se remettre à composer. » L’univers affectif du jazzman se limite à cette époque à Mélina, la grand-mère qui avait pallié aux nombreuses absences de sa fille auprès de ses petits-enfants avant de retourner dans son village natal de Grèce lorsque plus personne n’eut besoin d’elle, avec laquelle il communique chaque semaine par Skype et à Philippine, la jeune sœur avec laquelle il a toujours eu un lien de complicité fort. C’est elle qui l’a convaincu de venir à Toulouse, l’hébergeant à son retour en France le temps de lui trouver un appartement près du sien pour qu’il se fixe à portée de son affection. Philippine, trente ans à peine, les cheveux rouges et des piercings plein le visage, est tout le contraire de son frère : la tatoueuse de métier est aussi exubérante et spontanée qu’Alexis est réservé, drôle et charmante qu’il semble éteint. La jeune punk est également flanquée d’un chien particulièrement hideux et caractériel qu’Alexis nomme « le rat ». On peut se douter que la cohabitation du trio formé par Andrea, Alexis et Philippine sur lequel ce roman fantaisiste mené à deux cents à l’heure s’appuie, s’avère plein de surprises et de rebondissements. De délicieux dolmas (feuilles de vigne farcies) accompagnés de pic-saint-loup (vin local), un chat noir qui porte malheur, joueront aussi leur rôle dans le dénouement, faisant émerger les secrets que chacun cache soigneusement aux autres. Mais comme le dit l’adage « faience et langueur d’étang font plus qu’écorce ni qu’orage » et le temps est à l’œuvre pour tisser des sentiments entre ces personnalités a priori peu compatibles. Cette romance décalée et humoristique explore l’amour sous toutes ses formes, qu’il soit maternel, fraternel, physique ou fantasmé, tragique ou comique, toxique ou salvateur, normé ou différent, sur terre ou en apesanteur. Mais le roman dépasse ensuite ce cadre initial pour, face à la complexité des sentiments, aborder plus largement celle de toutes relations sociales, familiales et personnelles. Une modification infime du champ qui dote La terre est ronde comme un losange d’un enrichissant arrière-plan dépeignant la société de ce début du XXIe siècle. Dans l’intimité, au bar ou au travail, la solitude, la culpabilité, la tristesse, des uns ou des autres se dévoilent, tels de minuscules contrepoints venus non miner mais humaniser la comédie amoureuse. La problématique des apparences parfois trompeuses ou celle des masques derrière lesquels d’aucuns se cachent pour se protéger s’y trouvent également abordées à travers le personnage psycho-rigide qu’Andrea s’est forgé et chez certains personnages secondaires comme Dominique ou Jacques, le collègue de travail machiste d’Andrea. Le texte d’Emmanuelle Urien est vif, émaillé de nombreux dialogues, entrelardé de jurons en allemand qu’affectionne Andrea (traduits en bas de page) ou des expressions détournées avec malice par Philippine : « le jugement des niais », « avariés ou vendus avant la fin de l’année », « un amour chasse le clou », « les chiens se noient la caravane trace », etc. Si les interlocuteurs de la punk aux cheveux rouges ou elle-même en rétablissent parfois la version originale, d’autres sont laissées à notre libre interprétation, ce qui est non seulement très ludique mais contribue à créer un lien particulier entre le lecteur et ce personnage aussi décalé que séduisant. Si la légèreté et l’humour sont la marque première de La terre est ronde comme un losange, ce roman n’est, par son ancrage dans l’actualité, pas aussi anodin qu’il pourrait le paraître. Quant à la chute imaginée par Emmanuelle Urien, non seulement elle devrait en surprendre plus d’un mais, par son détournement du happy-end classique en fin heureuse non conventionnelle voire provocatrice en résonance directe avec la France d’aujourd’hui, elle est aussi bluffante que magistrale. Un divertissement sensible, drôle et inventif à recommander pour les jours de stress. Dominique Baillon-Lalande (12/11/19) |
Sommaire Lectures Eyrolles (Septembre 2019) 300 pages - 16 €
Pour visiter le site de l'auteur : www.emmanuelle-urien.org Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : Court, noir, sans sucre La collecte des monstres Tu devrais voir quelqu'un Tous nos petits morceaux L'art difficile de rester assise sur une balançoire Le bruit de la gifle |
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