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Patricia de FIGUEIRÉDO

Vous n’aurez pas mes cendres !


Grand admirateur de la rencontre entre Talleyrand et Fouché racontée par Jean-Claude Brisville dans Le souper ou de La conversation entre Bonaparte et Cambacérès écrite par Jean d’Ormesson, Serge Malakoff aimerait ajouter son nom à cette liste de superbes dialogues et de grands succès. Son sujet serait une entrevue entre Chateaubriand et le journaliste et patron de presse Émile de Girardin en 1844.

Serge Malakoff, soixante-dix ans, installé à Paris dans l’île Saint-Louis, a connu le succès et l’argent en écrivant des comédies de mœurs, du théâtre de boulevard, mais c’est avec une comédie dramatique qu’il voudrait terminer sa carrière.
« Cette pièce se devait d'être son apothéose. Cela faisait plus de dix ans qu'il n'avait pas obtenu un succès. Il vivait sur les reprises et les traductions de ses deux dernières pièces et de quelques scénarios pour la télévision mais rien ne l'avait remis sur le devant des projecteurs. Avec "Vous n'aurez pas mes cendres !", il était certain de tenir un succès. Peut-être le dernier. »
Il tient son sujet et il a déjà en tête les visages des comédiens : Jacques Weber, Pierre Arditi…

C’est passionnant d’assister au travail de création du dramaturge, sa composition des scènes, les traits de caractères des personnages qu’il choisit de mettre en avant, les événements qu’ils évoquent dans leur conversation, leurs oppositions…
Malakoff situe l’action en 1844. À soixante-seize ans, Chateaubriand a terminé depuis plusieurs années la rédaction des Mémoires d’outre-tombe dont il a vendu les droits à une société par actions créée par son éditeur et des amis qui s’occuperont de la publication posthume. Il aurait voulu que ce soit cinquante ans après sa mort mais ne l’a pas obtenu.
Émile de Girardin est un journaliste qui a créé son propre quotidien, La Presse, avec des méthodes nouvelles incluant la publicité pour diviser le prix de l’abonnement par deux et élargir le lectorat. Il y a aussi introduit le roman-feuilleton qui fidélise les lecteurs avec Balzac, Lamartine, George Sand… Et il vient d’acheter à la « Société propriétaire des Mémoires d’outre-tombe » le droit de publier l’ouvrage en feuilleton, après la mort de l’auteur bien sûr, mais avant la parution en librairie. Il ne vient donc pas demander une autorisation légale dont il dispose déjà mais plutôt une autorisation morale. Il veut justifier ses idées et son travail devant Chateaubriand. La discussion est vive, d’autant plus que d’autres contentieux existent entre les deux hommes et notamment le décès d’Armand Carel, un ami de Chateaubriand tué en duel par Girardin.
Le journalisme, l’indépendance de la presse, la censure, la politique, les femmes, l’amitié, l’argent… les sujets de conversation et d’affrontement ne manquent pas entre les deux hommes. Malakoff est ravi, l’écriture avance bien… Plusieurs scènes apparaissent au fil du roman.

Mais de temps en temps, et dès les premières pages du roman, Malakoff se trouve parachuté au XIXe siècle auprès de Chateaubriand qu’il suit dans ses déambulations.
« Un vertige me prit. J'étais bien sur la plage du Sillon mais pas en 2019. J'avais fait un saut dans l'espace-temps ! Un mélange d'excitation et de peur s'empara de moi. Comment avais-je procédé ? Je délirais sans nul doute.  […] Le vicomte perçut mon trouble.
– Ne vous inquiétez pas. Je souhaiterais vous présenter à ma famille, vous devez les connaître si vous voulez écrire sur moi. Mais avant, passons à Saint-Sevran, mon père y sera sans doute.
– Comment savez-vous que je vais écrire sur vous ?
Le jeune vicomte ne me répondit pas, s'éloignant déjà d'un pas alerte.
Je me hâtai pour ne pas le perdre de vue. »
À Saint-Malo, Combourg ou Rome, au théâtre ou dans un café, Malakoff suit Chateaubriand qui le mène au pas de charge d’un lieu à un autre… Rêves ? Hallucinations ?  On le saura en temps voulu…

On ne s’ennuie pas une seconde grâce à un rythme soutenu, passant du roman au théâtre et du XXIe siècle au XIXe, en partageant les émotions d’un créateur face aux femmes de sa vie et aux personnages de son œuvre. Beaucoup de thèmes sont brassés au fil des chapitres. Le résultat est aussi étonnant que passionnant.

Serge Cabrol 
(07/05/20)    



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Serge Safran

(Mars 2020)
176 pages – 16,90 €

Disponible en
version numérique










Patricia de Figueirédo,
journaliste, attachée de presse, s’occupe de la communication de l’association Culture Papier. Ce roman est
son quatrième livre.