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J. M. G. LE CLÉZIO


Chanson bretonne
suivi de
L’enfant et la guerre

Enfant, Le Clézio a séjourné en Bretagne, à Sainte-Marine, sur l’estuaire de l’Odet, en face de Bénodet, « quelques mois chaque été, entre 48 et 54 ». Quelque 70 ans après il revient en Bretagne. « Je n’en ferai pas le récit chronologique. Les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie. Les jours pour eux s’ajoutent aux jours, non pas pour construire une histoire mais pour s’agrandir, occuper l’espace, se multiplier, se fracturer, résonner. »

C’est bien des souvenirs de ces années cinquante dont il nous parle, de Ste-Marine où il n’y avait pas de commerces mais où chacun vendait le produit de son travail, poisson, lait, œufs, viande, etc. Souvenirs de la langue bretonne qui a perdu ses accents, ne rythme plus le quotidien mais qui est toujours là, de la musique bretonne qui existe toujours même « électrifiée », de Mme Le Dour, de son lait, de ses filles et ses kramponzen, crêpes bien épaisses, de sa ferme. « Pauvreté  ne serait pas le mot juste, c’était le sentiment d’un lieu hors du temps, oublié du monde moderne ». Souvenirs de « la lande », de la moisson : « Dire que c’était une fête serait en dessous de la vérité. C’était à la fois un évènement, une épreuve et une bataille. Il fallait tout finir dans une seule journée, pour ne pas risquer la pluie qui ferait fermenter le grain. », moisson précédée le dimanche des prières en breton du curé. Souvenirs des traces de la guerre, de « la marée basse », d’« errer la nuit », etc.

Tous ces souvenirs ne sont pas là par nostalgie, mais pour mesurer un certain nombre de choses, la sortie de la misère entre autres. « C’est vrai que les lieux que j’ai connus dans mon enfance ont changé, que la modernité a détruit le mode de vie, le décor et la culture ancestraux et que la Bretagne s’est modelée irrémédiablement sur le schéma mondial : routes à grande circulation, zones industrielles, tourisme de masse, urbanisation incontrôlée. La nostalgie n’est pas un sentiment honorable. Elle est une faiblesse, une crispation qui distille l’amertume. Cette incapacité empêche de voir ce qui existe, elle renvoie au passé, alors que le présent est la seule vérité. »

L’Enfant et la guerre succède à Chanson bretonne et nous plonge un peu plus dans le passé de l’auteur.  « Dans une guerre, les enfants ne savent rien de la réalité, ils écoutent des mots, ils construisent leurs histoires. » Chassée de Bretagne par les Allemands, la mère de J.M.G. Le Clézio qui naît en 40, se réfugie à Nice sous occupation italienne puis dans la montagne, à Roquebillière, quand les Allemands descendent dans la zone sud. Il est vraiment très jeune et ce sont des souvenirs d’un enfant de moins de cinq ans qu’il nous livre : « le choc de la bombe est terrible. Je n’ai pas souvenir du bruit. Je me souviens de l’onde qui fait bouger le sol et du cri qui s’échappe de ma gorge. Ces sensations ont lieu en même temps, le choc, la chute et mon cri. Plus tard, à l’âge adulte, j’ai vécu un grand tremblement de terre, à Mexico, en 85. Cette sensation étrange que la terre devient liquide, que plus rien n’est assuré, que tout peut disparaitre, » ou des mouches à Roquebillière, « Les mouches sont les grandes victorieuses des guerres […] Avant la guerre [disait la grand-mère du narrateur] les mouches étaient en nombre raisonnable. Elles sont arrivées avec les Allemands. Ce n’était pas un hasard, c’était un plan de l’ennemi pour saper le moral des Français. » Il évoque Mario, un garçon un peu plus âgé que lui, compagnon de jeu, mais aussi résistant qui sautera avec une bombe qu’il transportait… Des matinées passées à chercher de la nourriture, car c’est ça qui le marquera peut-être le plus, la faim : « Je parle de vide. Ce n’était pas un vide du corps, mais un manque continu, une cavité, un espace. Je ne me souviens pas d’avoir envie de ceci ou de cela. Nous n’avions pas le choix. Nous n’avions pas assez de tout. »

Deux textes courts qui nous font partager d’intenses moments de l’enfance de J. M. G. Le Clézio.

Michel Lansade 
(15/05/20)    



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Gallimard

(Mars 2020)
160 pages - 16,50 €

Version numérique
11,99 €









J.M.G. Le Clézio,
né en 1940, a publié plusieurs dizaines d’ouvrages et reçu
le Prix Nobel de
littérature en 2008.



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