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Nous sommes en 1977. Après cinq années passées en prison à Nice, un jeune homme prend le train de nuit pour retrouver Paris. « J’ai refusé que le temps me détruise, j’étais enroulé autour de moi-même, j’ai dormi longtemps dans la cendre et le sel. Puis un matin j’ai jailli hors de ma nuit [...] j’ai vingt ans, c’est inscrit sur les papiers quand, avant que je sorte, ils m’ont rendu mon identité. Cinq années à ne pas broncher, ils m’ont fait, énigme équivoque, cadeau du reste de ma peine [...] J’ai quitté la ville le soir même, sans recommandations, sans conseils, ni projets, avec en poche le pécule pour le billet de train et voir venir. » Dans la capitale, la chance lui fait croiser Pierre, un ancien ami maintenant marié et père d’un enfant, qui partage sa vie entre Grasse et Milly-la-Forêt. Celui-ci semble heureux de le revoir et lui propose, s’il est en recherche d’un logement, la chambre laissée vacante par des amis partis à Londres dans une colocation avec un couple et un ancien mannequin indien dans le 3e arrondissement. Ne lui restera que l’électricité et les charges à régler. Une aide bienvenue pour le jeune homme qui peine à retrouver ses repères. « Les jours flottent autour de moi (...) Je ne sais pas comment m’y prendre, je n’ai prise sur rien. J’existe à la place d’un autre et cet autre est celui que j’étais avant. Je ne me retrouve pas. » Il erre de Saint-Germain-des-Prés à la rue Sainte-Anne, accumule prostitués et amants anonymes. « Pour le moment j’ai soif des garçons [...], ils se substituent à la peur, ils transforment mes désordres, ils les rendent voluptueux. » La nuit, il fréquente les lieux gays select et festifs de la capitale, du Sept au Palace, où se côtoient les célébrités du show-biz, du cinéma ou de l’université, avec lesquels il noue des relations plus durables bien que toujours chaotiques. Cela l’amènera rue du Bac dans un appartement privé où le milieu artistique et intello gay se retrouve. Le beau jeune homme blond intégrera sans difficulté ce cercle où gravitent le cinéaste André et de nombreux acteurs et écrivains qu’il ne connaît pas. Par l’intermédiaire de ce premier, il rencontrera aussi Roland, fragilisé par la mort récente de sa mère mais non insensible à sa jeunesse, dont il appréciera l’écoute, « le sourire triste [...] la bienveillance et la courtoisie lasse. ». « J’aime être seul avec lui, j’ignore ce que je lui apporte, il m’apaise. » « Je ne laisserai pas resurgir le pire [...] Je dois continuer de faire silence, ma vie est noire encore, mais je ne suis pas un voyou, ce sont les jours que je vis qui le sont. » Les jours voyous, récit par un narrateur sans nom d’une année ou deux de la vie du personnage central pris à sa sortie de prison, nous dessine un plan très précis de la capitale qui est ici non un cadre mais une présence. Le livre brosse aussi un tableau très animé de la vie nocturne gay parisienne du Sept au Palace vers 1977-78 et du milieu artistique et intellectuel germanopratin qui s’y retrouve. Le narrateur y évoque aussi sans s’appesantir, avec autant de fraîcheur que de sensualité, ses ébats nocturnes avec ses amants et au-delà une communauté homosexuelle assez solidaire. Les corps, que ce soient dans l’acte sexuel ou la danse, dans la rue, les restaurants ou les bars, qu’ils soient jeunes ou vieux, y sont extrêmement présents. On y trouve également, à travers les personnages de Roland et Salamandra, une réflexion sensible sur le vieillissement et la mort. Mais c’est bien évidemment ce jeune homme à l’enfance brisée, troublant et émouvant, cet ange perdu alourdi d’un terrible secret dont la réinsertion et la quête de rédemption semblent s’éloigner à chacun de ses pas, qui au récit nous attache. Le crime qui l’a fait condamner et qui l’entrave tout entier ne nous étant révélé que très partiellement, et par allusions, le lecteur reste là avec ses questions : Pourquoi cet enfant mal grandi ne s’autorise-t-il aucun avenir, son crime est-il si affreux que ces cinq ans d’emprisonnement lui permettant de régler sa dette envers la société ne sauraient suffire à effacer sa culpabilité envers les hommes ? Si l’apaisement le fuit, est-ce parce que le souvenir de l’acte commis est une blessure non-refermée ou parce qu’une rage sourde l’habite encore contre celui qui a fait basculer son destin ? Son errance est-elle une fuite ou un lent ré-apprivoisement de la vie et une quête d’identité ? Pourquoi chez lui « ce qui est absent et ne se dit pas a plus d’importance que le présent » ? Qu’est-ce que cet obscur secret qui, comme l’ombre du mal, envahit sournoisement le récit comme elle le fait de l’esprit du personnage condamné à l’intranquillité, à la peur de lui-même et au refus de tout avenir tant qu’il n’aura pas tourné la page du passé ? Ces interrogations et le climat de doutes, de confusion et de mystère qu’elles génèrent, rapprochent le lecteur du personnage et tissent chez lui une empathie pour cet être souffrant dont il partage momentanément la peur et devine le traumatisme. Difficile dès lors, et vu la jeunesse du sujet, de ne pas envisager ce voyou comme partiellement victime. Les jours voyous, au-delà de la description très documentée du monde de la nuit et du milieu intellectuel parisien reflétant bien la fin des années soixante-dix, est un roman sur l’intimité, la violence, la culpabilité et l’identité, tout en sensibilité, en nuances et en séduction. Dominique Baillon-Lalande (10/02/21) |
Sommaire Lectures Mercure de France (Janvier 2021) 144 pages - 15 € Version numérique 10,99 €
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