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Noir sur Blanc

(Août 2023)
192 pages - 21€

Gilbert Keith CHESTERTON
(1874-1936)

Les paradoxes
de M. Pond

Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) est un écrivain britannique et son œuvre fait preuve d’une grande diversité. Il connaît la célébrité, notamment, grâce à ses romans policiers mettant en scène un enquêteur peu commun, le père Brown, un ecclésiastique. Autre personnage avec Les paradoxes de M. Pond, un recueil de huit nouvelles dont le protagoniste principal, M. Pond, use de logique et de finesse. Il étonne son entourage en résolvant différentes énigmes. Il semble pérorer en commençant ou terminant un commentaire des faits, mais en réalité, il démêle un paradoxe. Cette façon de procéder exaspère même ses admirateurs.

Gilbert Keith Chesterton dresse, au long de ses nouvelles, un portrait gentiment humoristique de ses personnages, dessinant des silhouettes légèrement désuètes mais efficaces pour créer une ambiance "so british" et dont il était probablement imprégné au début de ce vingtième siècle. On peut appliquer à tous ses personnages ce qu’il dit à l’occasion de l’un d’eux : « Il véhiculait avec lui sa campagne anglaise dans une évocation indéfinissable de profondeur et d’enracinement, et ne pouvait parler de choses banales sans évoquer le temps qu’il faisait et l’heure du jour ou de la nuit. »

Pond travaille au service du gouvernement, assure une tâche de fonctionnaire. Si son job est banal, son physique l’est moins et produit un effet étrange. Il apparaît sous les traits d’un hibou mais le plus souvent sous ceux d’un poisson, « sa bouche esquissa même passagèrement le mouvement que certains trouvaient si ichtyomorphe ». Il est barbu, de petite taille, très courtois, héritier du style de Gibbon, Buttler ou de Burke, aimant discourir, décevant ainsi certains publics le considérant comme un raseur : « "Dans la nature, il faut aller très bas pour trouver des choses qui aillent si haut". Les collectionneurs mettaient communément cette formule au nombre des paradoxes de M. Pond. Placée à la fin d’une dissertation un rien fastidieuse et profondément sensée, elle n’avait en effet aucun sens ». Et pourtant, c’est à partir de ce type formule qu’il résout les affaires inexpliquées, affirmant par ailleurs n’avoir jamais, de sa vie, énoncé de paradoxe mais n’avoir dit que des truismes.

Le paradoxe est généralement défini comme une opinion allant à l’encontre d’un avis communément admis. Il est aussi, par ailleurs, l’association de deux idées contradictoires. Gilbert Keith Chesterton nous donne du paradoxe, avec ces nouvelles, des variations. Le narrateur, lui, attribue au fantasque personnage de M. Pond l’élaboration de cette variété. Elle se manifeste d’abord comme une remarque monstrueuse émaillant des propos aussi modérés que rationnels. Cette monstruosité n’est pour Pond jamais une généralité mais un cas particulier. Ce qui, au fond, permet à chacun de ces paradoxes d’embrayer sur une intrigue excitant la sagacité de M. Pond qui peaufine son intérêt pour l’incartade. En effet, pour lui, les paradoxes naissent de la confusion, sinon de la manie de sortir une remarque de son contexte puis de la formuler avec une petite incorrection ou de ne pas laisser une phrase se finir en ne prêtant attention qu’à ce qui intéresse le destinataire. Encore, cette autre approche qu’il attribue à l’inexactitude « c’est que les gens sont très inexacts dans leur compte rendu de déclaration, ainsi en témoigne le cas du chameau, et de " quelque chose comme un chameau" ». Finalement, Pond voit le paradoxe comme « la vérité posée sur la tête afin d’attirer l’attention ». Comprendre le paradoxe nécessite de connaître toute l’histoire puisque, aussi étrange soit-il, il en est le résumé. À défaut de cela, les auditeurs de M. Pond trouvent ses remarques absurdes. À ce jeu-là, M. Pond trouve, parmi ses interlocuteurs, un bon nombre disposé à lui fournir le prétexte d’exercer sa perspicacité d’autant que « La plupart des gens qui usent de paradoxe ne font que chercher à se faire remarquer. Ce n’est pas le cas de M. Pond qui, lui, parle pour essayer de ne pas se faire remarquer ».
 
Les amis de M. Pond ne sont pas moins remarquables. Le capitaine Gahagan, ami et admirateur de Pond, est un homme de haute taille à l’allure d’un dandy. Bel homme jalousé, il est fréquemment accusé de meurtre. Il conte souvent, en prenant le temps, des récits extravagants ou fabuleux flirtant avec le non-sens sans pour autant être complétement des fictions. Ainsi, il a l’art d’embringuer son ami Pond. Il abandonne une narration, la délègue à M. Pond pour la terminer et celui-ci finit par un exercice de sagacité démêlant le vrai du faux. Quant à Sir Hubert Wotton, respectable ambassadeur et supérieur hiérarchique de M. Pond, laissons à Gilbert Keith Chesterton, du moins au narrateur, le loisir de le décrire : « Sir Hubert Wotton, il ressemble à Sir Hubert Wotton […] Sir Hubert Wotton différait sensiblement de de M. Pond en ce, que même occupé, il n’était jamais compliqué […] Le non-sens n’avait pas prise sur Sir Hubert Wotton ». On mesure aisément l’importance de ce personnage d’une « intelligence bien réelle quoiqu’un peu lente » réagissant à tous les propos de ses compagnons. Ce trio s’entend à merveille pour nous distraire même avec des horreurs dans des intrigues à la limite du farfelu mais très crédibles.

La narration maîtrisée embarque le lecteur dans de fausses digressions. Un propos anodin ou un détail d’allure frivole, repris plus tard, annoncent ou illustrent, en fait, participent à un paradoxe. Gilbert Keith Chesterton fait, de-ci de-là, une évaluation de son propos et prête ses propres remarques aux personnages sous forme de dialogues. « Chez Shakespeare le bouffon semble être par accident, sans rapport avec l’histoire et pourtant il figure le chœur de la tragédie ». D’autre fois, pour maintenir l’intérêt, il fait résumer diverses actions ou situations afin de maintenir son lecteur en éveil. L’auteur joue sur l’articulation du texte et le quiproquo. L’écriture se prête aussi à la concision dans le cadre d’une nouvelle. Dès lors, si la lecture est agréable et jouissive, il ne faut pas se laisser abuser, elle est exigeante et il est nécessaire de bien garder en tête le fil du discours car la moindre inattention le fait perdre. Gilbert Keith Chesterton semble ingénument en jouer dans un style chatoyant en plus de l’intrigue proposée. L’auteur s’amuse autant avec ses personnages, les situations et ses lecteurs. Il manie l’astuce en ménageant le confort et l’imprévu au lecteur, pendants obligés de sa logique ou art de penser, les alliés de son ironie faussement naïve.

L’évocation en finesse de ces paradoxes,ceux de M. Pond, donne à Gilbert Keith Chesterton l’occasion d’ausculter son époque et mettre en relief les bons et mauvais aspects d’une société puritaine. Lors, le mot d’Oscar Wilde que se plaît à citer l’auteur – « Je peux résister à tout sauf à la tentation » – est une remarque pertinente de l’état d’esprit d’une partie de la société ainsi croquée.

Michel Martinelli 
(23/10/23)    




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Pour mémoire














Gilbert Keith Chesterton
(1874-1936)
journaliste, poète, biographe, apologiste du christianisme et auteur de romans policiers, a publié de très nombreux ouvrages.




Traduit de l’anglais par
Monique Silberstein





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