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Claude
Chanaud


De très nombreuses formules ont tenté de définir le concept de "littérature". "L’usage esthétique et harmonieux du langage" est ma préférée car elle ne limite pas cet artisanat distingué au seul écrit.



J’ai rencontré Claude Chanaud dans son appartement parisien loin de son Berry natal. On accède à son refuge par une galerie occupée par des boutiques d’antiquaires et des marchands de tableaux. Un lieu qui incite déjà à l’écriture. L’appartement dans lequel Claude Chanaud me reçoit est chaleureux, ses murs sont recouverts de livres et sur la table basse des piles de livres également, sans doute ceux en cours de lecture, mais aussi une bouteille de Sancerre que notre hôte a ouverte à notre intention. Le décor est donc planté nous sommes dans l’univers de Gens de plume et vin chaud à la cannelle. L’amour des mots n’est pas un vain mot dans ce lieu.

Claude Chanaud, vous venez de publier Chroniques gaillardes de Bourg-en-Brenne aux éditions du Bruits des Autres, ces textes sont l’écho de votre premier recueil de nouvelles Fatoumata la Berrichonne également aux éditions du Bruits des Autres. Vous brossez, dans ces deux recueils, un tableau souvent sarcastique mais toutefois teinté de tendresse vis-à-vis des gens de votre Berry natal. Ces recueils me semble le puzzle d’une biographie en attente de rédaction. Avez-vous l’intention de vous lancez dans l’écriture d’un roman qu’il soit autobiographique ou pas ou alors êtes-vous attaché à la forme narrative de la nouvelle ?
Je ne sais pas quelle forme prendra mon prochain bouquin, en fait j’ai déjà écrit dans cette veine provinciale que vous qualifiez de "sarcastique et tendre". À cette époque, je n’ai pas trouvé d’éditeur, mon roman s’appelait : Les aventures de T. Leymac. Vous voyez l’allusion à Fénelon (le professeur du duc de Bourgogne à la fin 17ème siècle et à Télémaque, le bien connu fils d’Ulysse et de Pénélope). Nous étions donc à la fois près des vieux Grecs et des Brennous contemporains. J’ai eu effectivement plus de réussite avec mes nouvelles et un modeste prix obtenu il y a belle lurette à Angers a déclenché ma démangeaison d’en écrire d’autres. Ensuite Encres Vagabondes m’a offert une véritable chance avec le recueil Fatoumata la Berrichonne qui a été réédité depuis par le Bruit des Autres.

L’amour des mots et la jouissance des jeux qu’ils procurent est évidente dans votre écriture, pouvez-vous nous définir ce qu’est pour vous la littérature ?
De très nombreuses formules ont tenté de définir le concept de littérature. Loin des hermétiques, parfois fort prétentieuses et des trop simplistes, "l’usage esthétique et harmonieux du langage" est ma préférée car elle ne limite pas cet artisanat distingué au seul écrit. Elle introduit également l’oralité comme un non négligeable vecteur concerné par l’assemblage harmonieux des mots. En témoigne non seulement le théâtre depuis que messieurs Eschyle et Aristophane mettaient en scène de vieux Grecs rigoristes ou coquins, quelques discours politiques des rares tribuns bien inspirés, de nombreuses chansons faisant cortège au Temps des cerises, mais aussi les lectures à voix haute qui mettent en évidence les perles discrètes de certains passages littéraires et leur donnent, ce faisant, un nouvel éclairage.

Votre écriture est généreuse, je veux dire par là que vous aimez vous installer devant la page blanche comme devant une table riche en mets. Vous aimez les jeux de mots, les contrepèteries, "l’assemblage harmonieux des mots" comme vous le disiez à l’instant. Parlez nous de cette recherche si l’on peut dire de l’écrit ?
Le goût avéré des lecteurs contemporains pour des textes allégés et goûteux fait que les éditeurs actuels ne pêchent plus guère à la ligne. En dire plus avec moins de mots est devenu la marque d’un bon style. Et Ponson du Terrail s’inscrirait de nos jours à l’ANPE. Dans ce contexte exigeant, Á la recherche du temps perdu ne perd rien de son aura car le camaïeu de ses précisions nuancées et la multiplication de ses détails intimistes forment une fresque littéraire restée sans concurrence dans le genre. Mais n’est pas Marcel Proust qui veut. Merci de m’éviter l’exception qui confirme la règle.

Votre travail n’est pas forcément minimaliste, vous avez besoin de phrases riches et (je dirais) copieuses pour véhiculer votre discours et votre émotion, pourtant ce que vous venez de dire semble contredire mon propos. Pouvez-vous m’éclairer ?
Dans la plupart des cas, les écrivains d’aujourd’hui évitent autant qu’ils peuvent la lourdeur ou la longueur des phrases qui s’apparenteraient pour certains plumitifs au verbiage creux, prolixe ou diffus du quantitatif "à fond la caisse".Voire du remplissage inutile. En effet, les contemporains tentent de s’exprimer dans des formes plus légères. Précisons néanmoins que dans le domaine de l’écriture, il n’existe pas d’exclusivité pour ces modernes par rapport aux anciens car les siècles précédents ont également été catalyseurs de talents concis et brillants. François Villon, Molière, Diderot, Chateaubriand peuvent en témoigner.

Cela peut expliquer aussi votre choix pour la forme brève de la nouvelle qui n’implique pas forcement l’absence d’intensité et de questionnement ?
Oui. Reste que si la forme recherchée de nos jours est passée par une nécessaire diététique, le message doit aussi gagner en densité et pour ce faire, il doit trouver des connections intelligentes, provoquer des associations d’idées créatives et exciter des sensations aimablement cousines. Voire accoucher d’un autre univers. Voilà l’idée dont les surréalistes ne furent pas les seuls dépositaires inspirés : au milieu d’aimables fictions et de poétiques élucubres, il y a sans doute dans les dissertations des gens de plume le monde du futur. C’est une charge induite qui souligne la profondeur du propos au moment où la construction gagne en légèreté.

Vos différents recueils de nouvelles sont parsemés de métaphores éclairantes qui sont d’autant plus fortes que la phrase est courte. Vous avez en vous un poète qui s’ignore sans doute ?
Merci. Cependant de nombreux extraits peuvent illustrer la théorie de la phrase courte, légère et riche en connections. Le premier qui me vient à l’esprit est extrait de Marcel Aymé qui écrivit dans La jument verte : Il se pratiquait à Claquebue quatorze façons de faire l’amour que le curé n’approuvait pas toutes. Sous une brièveté ciselée, voilà l’exemple d’une expression joignant à la drôlerie et aux ouvertures opportunes la présentation d’un grand classicisme. En effet la règle des trois unités y est respectée, le lieu, le temps et quatorze fois l’action. Si j’ose dire.

Dans Gens de plume et vin chaud à la cannelle, vous faites une large place à des auteurs dont nous pourrions dire qu’ils sont anarchisants de cœur tels que Marcel Aymé, Antoine Blondin, René Fallet, etc. Peut-on considérer qu’il s’agit là de vos maîtres à penser ?
Je ne sais pas, mais en vérité, divers maîtres à penser – à gauche comme à droite – n’ont pas encore pardonné au grand Marcel Aymé de nous avoir mis le nez dans nos contradictions franco-françaises en évoquant ce qui fut largement mobilisateur au 18ème siècle des philosophes avant de prendre l’eau dans les caves du Vatican, les geôles de Vichy et toutes les autres idéologies assassines du XXème siècle. Ils lui reprochent surtout de les avoir mal traités en décrivant leur quotidien d’assurés sociaux râleurs et quelques chiffres taquins concernant nos ruts du samedi soir. Alors que lui, souriant lucidement de nos comportements étriqués, était en fait un humaniste.
Il aspirait à une démocratie aimable au sens étymologique du terme en attendant sans doute une anarchie souhaitable respectant autrui mais évidemment "sans dieu ni maître". Bien au-delà des tactiques politiciennes en usage. Pour illustrer l’espérance sous-jacente à son lucide discours, je trouve dans L’humeur vagabonde de Blondin un poétique message qui pourrait lui servir de conclusion sous la forme d’une métaphore SNCF : Un jour, nous prendrons des trains qui partent. Cerise confite sur gâteau ivre ou utopie transcendante, cette expression illustre également l’élégance évoquée ci-dessus, dont Antoine Blondin fut un exemple digne de figurer au pavillon de Sèvres, tout à coté du mètre étalon. D’autant que ce désespéré portait lui aussi, entre deux vins de ce bas monde, un ailleurs en bandoulière et une rigueur d’écriture d’une parfaite concision.

Dans plusieurs de vos nouvelles vous épinglez le monde clérical, souvent celui du Berry… d’une manière d’ailleurs pas vraiment violente, un peu à la Prévert (pour exemple votre irrespectueux : Ad gloriam majorem dei de votre dernier recueil Chroniques gaillardes de Bourg-en-Brenne). Pourtant vous avez été baptisé, vous avez fait votre communion et même vécu dans des pensionnats très strictement religieux, pouvez-vous nous expliquer cet état de penser ?
C’est assez simple à expliquer : je ne confonds pas les verbes croire et savoir. Je ne sais vraiment que ce qui est palpable, visible ou démontré dans notre univers, ce qui exclut un dieu ou des dieux toujours aux abonnés absents. Eux (ou lui) ressortent du domaine de la croyance qui est impalpable, invisible et indémontrable. Effectivement ça n’a aucun rapport avec le savoir. Et j’en veux aux porteurs de soutanes qui maintiennent le flou artistique dans ce domaine.
J’y inclus les papes, les imans et tous les porteurs de dogme accompagnés de leurs promesses post-mortem qui sont évidemment invérifiables. Je les prends pour des escrocs ou des ingénus. Le pensionnat que j’ai connu dans ma jeunesse n’a fait que renforcer cette position. Et les partis politiques qui pratiquent le même genre de promesses ressemblent tout à fait à ces hiérarchies cléricales. L’expérience communiste est là pour le prouver. Mon état de méfiance vis-à-vis de ces marchands de chansons semble de plus en plus partagé et c’est tant mieux.
Mais je comprends la démarche de ceux qui ont besoin d’une croyance pour vivre. Après tout le "carpe diem" que je pratique est désespéré au sens originel du terme.

Avant de vous quitter pourrions-nous parler de vos projets, car je suppose qu'amoureux des mots comme vous l’êtes, vous avez sur votre planche quelques travaux en cours ?
Beaucoup moins que vous ne le supposez. Mais j’ai découvert l’intérêt de la contrainte et j’ai commencé, pour une nouvelle collection, un roman d’une centaine de pages qui doit être à la fois un peu policier et très breton. J’ai également envie de travailler sur une pièce de théâtre tout en sachant la difficulté de convaincre un producteur, un metteur en scène et des comédiens de parier sur votre texte. Et puis, je suis paresseux et ça... ça me demande du temps !...

La bouteille de Sancerre avait pris quelques verres dans la carafe. Je quittais Claude Chanaud avec l’impression de quitter un vieil ami.

Propos recueillis par David Nahmias 

Mise en ligne : Octobre 2009







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