Pierrette Fleutiaux

Entretien autour de
La saison de mon contentement




Jusque-là vous avez peu abordé l’autobiographie (à l’exception de Des phrases courtes ma chérie) ; vous y revenez, pourquoi ?
Quoi que l’on écrive, la biographie n’est jamais loin. L’écriture passe par soi, par un prisme personnel qui recompose le monde. L’identité de l’écrivain est reconnaissable au travers de ses écrits. Cette identité est un soi-même composite fabriqué par son histoire personnelle (familiale, sociale, etc.), son expérience, les tremblements de l’époque, l’air du temps… et cet élément proprement insondable qui fait son écriture.

Vous interpellez le lecteur, utilisant le « vous », est-ce une tentative d’ébauche de ‘conversation’ entre vous et lui ?
Non, je ne tente pas d’engager une conversation ! C’est surtout une manière de s’adresser à soi-même, d’y voir plus clair peut-être : on « débrouille », on « dé- pelote », en parlant à une partie du soi, composée de toutes sortes d’individus... L’écriture de Nous sommes éternels m’a pris cinq ans. Peut-être pour m’encourager durant tout ce temps, j’ai eu besoin aussi de « parler » à quelqu’un : ma narratrice s’adresse à une potentielle compositrice d’opéra.

Avez-vous travaillé la structure de l’ouvrage, en particulier l’ordre des chapitres… au nombre de 117 ?
La structure s’est mise en place spontanément. Une spontanéité qui est en fait l’aboutissement de toute une vie. Je n’ai pas écrit un essai, ce n’est pas seulement une pensée abstraite ou conceptuelle qui s’exprime, c’est une pensée nourrie aussi du corps vivant. Et tout cela a jailli d’un coup, en geyser. Les intertitres sont venus après coup, pour la commodité de lecture.
Je ne renie pas les détours, parenthèses, digressions. Voilà : on suivait une ligne de discours, puis il se fait comme un signal. Une voie oblique se présente. La suivre alors, faire confiance à son intuition.

Votre adhésion est immédiate aux côtés de la candidate, puis ensuite vous vous faites en quelque sorte son avocate, tout cela très rapidement, pourquoi ?
Au départ j’ai été secouée par ce qui se disait sur la candidate du fait de son être-femme, par la fausseté de certaines argumentations ! Pourquoi tant de fausseté ? Il n’était que de constater l’inégalité des ressentis à l’égard des deux candidats. Si on était dans l’affect pour le masculin, rien de plus normal, tandis que l’affect pour la figure féminine était aussitôt critiqué. Résultat : moi qui ai eu toujours eu du mal à enclencher dans le collectif, j’ai été emportée par une conscience renouvelée de mon être-femme, par des indignations venues de très loin, qui s’étaient un peu assoupies. Il y a eu aussi, avec l’arrivée de cette figure féminine au sommet, une joie étonnante… comme si le monde avait pris une couleur nouvelle, me souriait à moi.

Vous parlez de vos expériences professionnelles – enseignante et femme écrivain. On a le sentiment que vous avez réussi les deux. Partagez-vous ce sentiment ?
Aujourd’hui j’ai le temps de mener la vie de l’écrivain. Mais je ne me sens pas si « reconnue » que vous le dites en dépit d’un lectorat fidèle. Annie Ernaux par exemple est plus identifiable que moi. C’est que j’ai besoin à chaque fois d’une forme nouvelle, ce qui est déroutant pour les lecteurs. J’aborde ma montagne par une face, puis une autre… Il y a une part expérimentale dans ma démarche. La montagne, elle, reste la même, indéchiffrable, toujours à gravir.

Les mots, la sémantique, ça vous connaît… On pense à « tribun », « tribune » (le passage du sujet à l’objet), le « vote féminin » et autres tournures très significatives si on prend la peine de se pencher dessus…
Oui, la période électorale avec ses flots de discours favorisait l’analyse sémantique ! Qu’est-ce qui se disait réellement derrière toutes ces phrases qui saturaient l’air ? Ma réaction première est d’accepter, l’accord est tellement plus agréable. Puis quelques minutes après : « attention, qu’est-ce que je viens d’entendre là ? » et parfois la colère… C’est un véritable travail de spéléologue : creuser sous les mots banals, les stéréotypes, les slogans, le convenu, le « cela va de soi », les discours du bon sens apparent.

Pouvez-vous nous parler du travail de l’écrivain ? Créer des personnages, c'est un peu créer des avatars et des pseudos ?
Oui, l'écriture a quelque chose à voir avec la théâtralisation de cette multiplicité que chacun porte en soi. Mais il y a plus. Pour beaucoup, l’activité professionnelle se fait à l’intérieur d’un cadre précis, régulé. Mais l’écrivain – l’artiste –, nage dans les fonds du grand marigot commun ! Des fonds agités, troubles, où il n’y a pas de parcours fléché. L’écrivain a conscience de cet énorme mystère à la surface duquel nous avons bâti nos fragiles demeures. Chaque roman est une proposition de sens, temporaire…

Votre livre est tout entier dédié au féminin, mais pour autant, les quelques fois où vous parlez des hommes, c’est avec une réelle tendresse : ils peuvent vous émouvoir, vous bouleverser…
D’abord, je me méfie du fanatisme ! Quand on croit avoir trouvé la clé du monde, et qu’on veut tout expliquer avec cette unique clé, on est sur la pente terrible…Et puis les hommes sont des humains comme nous, les femmes ! Nous devons bien sûr être vigilantes, regagner ce terrain qu’ils ont monopolisé depuis des siècles, mais cela n’empêche pas qu’il y ait l’amour aussi, la passion, la fraternité, etc. Du moins s’ils y aident un peu !
Bien sûr, la féminité n’est pas toujours un miroir plaisant ! Tant de temps perdu, par la force des choses, pour les femmes, alors que les hommes peuvent aller plus vite et plus droit. Il est parfois pénible de retrouver chez d’autres femmes ce qui a lourdement pesé sur vous-même.

Vos projets d’écriture autour d’Anne Philipe ?
Anne Philipe a été mon éditrice et mon amie; cela fait des années que je veux écrire sur elle, sur ce qu’elle a représenté pour moi (une femme libre, une grande dame), mais je ne trouve pas le bon angle. D’autres projets arrivent sans cesse par le travers, comme si dans le fond cette écriture autour d’elle m’aidait surtout à ouvrir d’autres voies.
Et puis mon dernier livre est encore trop proche. Il ne s’est pas tout à fait détaché de moi. Je n’ai sans doute pas eu encore assez d’échos, de retours de lecture. La saison de mon contentement est un livre «hors normes ». Il rencontre des résistances, il lui faut du temps. Faire passer la torche du féminin sur notre monde, ce n’est pas anodin, on n’y est pas habitué…

Propos recueillis par Céline Mounier et Dominique Godfard 

Mise en ligne : juillet 2008









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un article concernant
La saison
de mon contentement


et

un autre entretien
avec Pierrette Fleutiaux

réalisé en 2003





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