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Paul
Fournel




Vous avez écrit des nouvelles, des textes courts, des romans, des essais. Comment s'articulent la forme et le fond dans votre travail littéraire ?
J'aime explorer les formes, quitte à en inventer de nouvelles. Elles sont autant de voyages et d'expériences. Parfois, elles prennent le fond en mains, d'autres fois moins, cela dépend de leur vigueur propre et de l'ardeur avec laquelle je les empoigne. Je n'imaginerais pas faire tous mes livres sur un modèle formel unique. Il y a un vrai bonheur d'écrivain à passer d'un genre à l'autre.

Comment constituez-vous un recueil de nouvelles ?
Dans la mesure où les journaux ne commandent plus guère de nouvelles aux écrivains et où la fiction a déserté la presse, un recueil n'est plus le simple rassemblement de textes de hasard. Il peut être construit selon des lois internes.
J'essaie donc d'écrire des nouvelles que je mets en réseau dans des recueils thématisés avec des personnages et des éléments qui se retrouvent d'une nouvelle à l'autre. Le lecteur peut établir ainsi des connexions, repérer des échos, et donner une dimension plus large à chaque texte du recueil.

Pourriez-vous parler de roman par nouvelles ?
Sans doute y a-t-il un peu de cela, mais lorsque j'ai composé ce recueil, Jean-Noël Blanc n'avait pas encore inventé ce concept.

De textes en textes certains de vos personnages réapparaissent donc. Pour quelles raisons créez-vous ces échos de nouvelles en nouvelles ou de nouvelles en romans ?
Pour le plaisir de créer et explorer un univers mental que j'élabore de livre en livre et que les lecteurs reconnaissent comme familier. Ceci leur permet de tirer des fils et d'établir des rapports entre des éléments d'allure éparse. Le lecteur a beaucoup changé. Il a beaucoup lu. Il est capable de prendre en charge toute une partie du travail qui était autrefois celui de l'auteur. On peut donc jouer avec lui, lui faire confiance, lui faire plaisir. Je m'y essaie.

Quelles sont les particularités de l'écriture d'une nouvelle ?
Le temps de la nouvelle est en relation avec le temps dont je dispose pour écrire. C'est à peu près la distance de texte que je peux brasser par coeur, en étant sur ma bicyclette ou au travail dans un moment creux. La distance que je peux travailler sans papier car j'ai une vie professionnelle très remplie.

Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous avez écrit votre roman Un homme regarde une femme ?
Je l'ai écrit comme on écrit les livres avec du sentiment, avec de la réflexion et avec de la technique. Côté technique, je me suis interdit les scènes classiques des romans d'amour, celles qui figuraient dans tous les romans d'amour anglo-saxons que je lisais alors pour un projet de collection. Puisque ces scènes sont dans tous les romans d'amour (le premier regard, la traîtrise, le premier baiser etc...) les lecteurs les connaissent. Ils peuvent donc facilement les imaginer.
Le fait de les supprimer et d'écrire « à côté » de ce que l'on écrit d'ordinaire dans les romans d'amour donne un fort parfum de vérité au texte (qui est de fiction).

Les athlètes dans leur tête sont des nouvelles entièrement consacrées aux sportifs et à leurs réflexions. Comment est née l'idée de ce recueil ? Pour vous comment se rejoignent sport et littérature ?
Ce sont des nouvelles qui parlent de sport parce que c'est un terrain peu chassé par les écrivains. Il y a donc un réservoir de langue assez exceptionnel avec des mots magnifiques, des mots techniques que l'on côtoie peu dans la littérature. Les athlètes dans leur tête m'ont permis de parler du sport que j'aime pratiquer et du spectacle sportif qu'il offre. Cela m'a permis de faire dire aussi aux athlètes ce qu'ils ne disent jamais tant leur langage est contraint par l'usage, par les entraîneurs, par les sponsors, par les journalistes.
Mais, parlant des athlètes, je pense que je parle également beaucoup des écrivains. La fréquentation quotidienne des écrivains m'a aidé a écrire ce recueil autant que la lecture de l'Equipe.

Les athlètes dans leur tête ont été joué récemment par André Dussolier. Comment vivez-vous la théâtralisation de vos écrits ?
Quand le résultat est bon comme ce fut le cas pour Dussolier, c'est un bonheur sans égal. Voir arriver vos personnages en chair et en os, entendre votre texte est une expérience très émouvante. Quand le résultat est mauvais, c'est un supplice. Mais grâce au ciel j'ai toujours eu de très bons metteurs en scène et de très bons acteurs.

D'autres de vos textes ont été adaptés comme Les grosses rêveuses. Est-ce une lecture nouvelle de vos écrits chaque fois que vous les voyez jouer ?
Bien sûr. Il s'agit bien de mon texte, mais il s'agit aussi du spectacle du metteur en scène. Il s'agit bien de mes personnages, mais ils sont incarnés par des acteurs. C'est toujours très intéressant de voir comment un texte prend le volume de la scène et le son de la voix.

Vous avez aussi écrit pour la jeunesse. Est-ce un ghetto pour un écrivain ?
Le problème est surtout celui d'un ghetto critique. Face à la critique, la littérature jeunesse est un problème. Il suffit de publier un livre dans lequel il y a des images pour que les critiques ne l'ouvrent pas. Je ne pense pas, en vérité, que la frontière soit aussi nette entre littérature jeunesse et adulte. Prenons l'exemple de Jean-Noël Blanc avec la publication de Fil de fer la vie dans la collection Page Blanche de chez Gallimard. Le livre s'est très bien vendu mais il n'y a eu quasiment aucun article alors qu'il n'y a aucune différence de substance entre ce livre et Chiens de gouttière, un autre de ses romans. C'est là que commence le ghetto et là que commence la triste tentation de se contenter de peu...

Vous êtes président de l'OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle). Comment avez-vous rencontré l'OuLiPo ? Pouvez-vous nous dire ce qu'est L'OuLiPo ? Quelles ont été vos premières fonctions à L'OuLiPo ?
Enfant, j'avais beaucoup aimé Zazie dans le métro de Raymond Queneau et j'avais, au-dessus de mon lit, une phrase de Jacques Bens. Plus tard, j'ai fait ma Maîtrise sur Raymond Queneau et j'ai pu le rencontrer. Il m'a fait faire la connaissance de François Le Lionnais qui était le Président-fondateur de l'Oulipo et ils m'a adopté comme esclave. Un jour, il m'a donné un grand carton plein de papiers concernant l'Oulipo et j'ai été chargé de mettre un peu d'ordre dans toute cette pagaille. L'ordre que j'y ai mis m'a conduit à faire un exposé à la faculté de Nanterre où j'ai vu débarquer les Oulipiens à la grande stupeur du professeur. Cet exposé qui était la première manifestation publique de l'Oulipo est devenu un livre, Clefs pour la littérature potentielle. Ensuite, je suis devenu secrétaire provisoirement définitif et définitivement provisoire en alternance avec Marcel Bénabou, puis Président à la mort de Noël Arnaud.

Quel domaine recouvre l'OuLiPo ?
Le domaine de l'Oulipo est celui des services que la mathématique peut rendre à la littérature. Il s'agit de proposer aux écrivains de nouvelles structures susceptibles de servir de support à des œuvres littéraires. Il s'agit aussi d'explorer les formes anciennes abandonnées (les plagiaires par anticipation). Il s'agit enfin de donner des modèles. L'Oulipo est aussi le groupe littéraire le plus ancien d'Europe.

C'est une base de travail pour beaucoup d'ateliers d'écriture ?
Nous avons constaté au fil des années, sans jamais l'avoir voulu, que nos travaux avaient de grandes vertus pédagogiques. Il n'est donc pas étonnant que les ateliers de type « oulipo » se multiplient. Certains sont de notre fait, d'autres non.

Quel est l'apport de rencontres avec d'autres écrivains dans votre parcours littéraire ?
Essentiel. L'Oulipo joue un rôle central dans ma vie et dans mon travail. Avoir la possibilité de voir travailler en direct des gens comme Queneau, Calvino, Perec, Roubaud et de suivre leur chemin de création est une chance immense et rare dans un milieu ou l'individualisme est la règle.
J'ai également beaucoup appris de la fréquentation quotidienne des auteurs dans mon métier d'éditeur. Tous sont différents et tous ont des points de similitude.

Vous vous réunissez régulièrement. Quel rôle joue la lecture orale de vos textes ?
Nous sommes tous de tradition orale, et à l'Oulipo nous lisons nos textes pour ce qu'ils sont. J'aime la voix et j'aime entendre les textes. Quand on lit un texte oulipien il y a deux lectures possibles : la lecture du texte et celle de la contrainte. Les textes passent souvent mieux à l'oral. Nous avons donc multiplié les lectures publiques et nous avons désormais notre rendez-vous mensuel avec le public au Forum des images (métro : Les Halles-Châtelet à Paris). Plusieurs centaines de personnes chaque mois viennent partager notre plaisir de lire.

Que pensez-vous de la contrainte ?
C'est un stimulant. C'est l'art de ruser avec les automatismes de l'écriture, c'est l'art de ruser avec l'inconscient, c'est un outil de lutte contre la panne sèche et l'angoisse de la feuille blanche. Le degré supplémentaire de la contrainte est de découvrir la musique de la contrainte. On en a tellement inventé, on a tellement joué avec qu'il y a un moment où la contrainte a une musique particulière. On applique alors la musique de la contrainte. C'est la contrainte "Canada dry" qui a la couleur d'une contrainte, l'odeur d'une contrainte mais qui n'est pas une contrainte...

Vous avez inventé une contrainte importante : la contrainte du prisonnier. Pouvez-vous nous en parler ?
Il s'agit d'une contrainte qui vise à l'économie. L'hypothèse de départ c'est d'être dans une cellule et le prisonnier dispose de peu de papier et de peu de crayon pour dire l'essentiel de ce qu'il a à dire. Il va donc l'écrire dans un français économique en matière de papier. Il ne doit dépasser ni en haut ni en bas de la ligne. Il s'interdit toutes les lettres de l'alphabet qui « dépasseraient ». Treize lettres de l'alphabet sont donc prohibées. C'est un lipogramme en treize lettres. On n'utilise qu'un demi alphabet. Dans la contrainte du prisonnier la lettre z est autorisée.

Vous êtes intervenu en prison pour présenter votre démarche littéraire. Que représentent ces interventions pour vous ?
Les prisonniers sont des gens particuliers. Des gens qui ont choisi la rupture. Certains par choix conscient, d'autres par les contraintes de la vie. Ce sont donc des lecteurs particuliers. En ce sens, ils m'intéressent. Ce qu'ils lisent dans mes textes n'est pas toujours ce qu'y lisent les autres, ceux pour qui la lecture est un sport quotidien et ancien. De mon côté, je dois dire que l'expérience du bruit des écrous qui se ferment dans mon dos vaut toujours son pesant de sourde inquiétude...

Vous avez écrit plusieurs textes sur Guignol et les Marionnettes. Comment avez-vous rencontré Guignol ?
Ce fut une rencontre d'adulte. Je ne pense pas être allé voir Guignol pendant mon enfance. De toute façon, Guignol est un spectacle pour adultes. Je voulais faire une thèse sur Jarry qui manipulait des marionnettes dans son garage. Je suis allé voir Guignol pour entendre la langue avec l'idée de faire une thèse de linguistique. Comme il n'y avait rien d'historique sur lui, j'ai décidé de creuser un peu et j'ai fait ma thèse sur Le Guignol lyonnais classique puis j'ai fait des travaux sur le personnage de Guignol. Ce qui me fascine dans Guignol c'est que de Guignol à l'Oulipo j'ai tout l'éventail des relations possibles avec des textes. Guignol répond à la question : que peut-on écrire quand on ne sait pas écrire ? C'était le cas de Laurent Mourguet qui a créé un personnage aussi important que Guignol sans avoir jamais écrit un seul texte car il ne savait pas écrire. A l'opposé, j'ai tous les virtuoses de l'écriture à ma disposition à l'Oulipo qui répondent à la question : qu'écrit-on quand on peut tout écrire ? Tout mon travail d'écriture s'inscrit entre ces deux extrêmes.

Vous avez aussi été éditeur ?
J'ai travaillé dans l'édition avec Jean-Pierre Énard qui était un ami et un bel écrivain. Il a attrapé l'air du temps des années 1970 comme personne. J'ai débuté avec lui, il dirigeait la Bibliothèque Rose. J'ai appris le métier d'éditeur avec lui : rédiger des quatrièmes de couverture, des comptes rendus, des traductions, mettre des textes en forme... Mon premier poste dans l'édition, je l'ai eu d'une façon curieuse. J'appelais Paul Braffort qui m'a dit incidemment que dans Le Monde, il y avait une petite annonce où l'on me cherchait. Le profil me correspondait en effet et je suis rentré à l' Encyclopedia Universalis. Je m'occupais du théâtre, de la littérature et du cinéma. C'était très précieux, j'ai pu ainsi prendre connaissance du paysage intellectuel français. J'ai accumulé une grande richesse.
J'ai ensuite dirigé les éditions Ramsay et cela a été une belle expérience professionnelle. L'aspect littéraire était passionnant mais devoir équilibrer la production et les finances l'était au moins autant.

Est-ce facile d'être éditeur ?
Le plus dur dans le métier d'éditeur est de dire deux mille fois non pour une fois oui. Au bout d'un moment, beaucoup d'éditeurs trouvent des tas d'astuces pour ne plus dire non. La deuxième chose délicate est d'arriver à tenter de valider financièrement toutes ces expériences éditoriales. J'ai traversé la génération qui a vu se transformer le métier. Avant, le pouvoir était au texte dans les maisons d'édition. Actuellement, ceci est dépassé, le pouvoir est aux hommes d'argent, ce qui change considérablement la donne.
Le problème essentiel aujourd'hui, me semble davantage être un problème de diffusion distribution qu'un problème de contenu. Une mutation énorme est en train de s'opérer dans ce domaine dont le futur paysage éditorial dépendra complètement. Comment arriver à faire circuler rationnellement les livres ? L'aberration vient de ces camions qui partent le matin et reviennent le soir avec les mêmes livres à l'intérieur. C'est là qu'est la folie économique qui fait qu'il y a 50 % de retours. Le malicieux ou la malicieuse qui trouvera une combine pour passer au-delà de cette absurdité sera le plus fort de tous.

En 1992, vous avez été élu président de la Société des Gens de Lettres pour quatre ans. Quel a été l'apport de cette fonction ?
Il est important quand on est dans une profession d'essayer de comprendre comment les choses bougent, évoluent. C'est une des cordes qui manquait à ma connaissance du métier. Je connaissais bien l'édition, le travail d'écrivain, le métier de libraire. Je connaissais moins ce qui concernait l'encadrement législatif de la profession, les relations avec le ministère, la Direction du Livre. J'ai été président de la S.G.D.L. à une période où le droit d'auteur était en pleine mutation. Ce fut un moment passionnant. Aujourd'hui, on photocopie à gogo, on lit autant de livres prêtés dans les bibliothèques que de livres vendus dans les librairies. Il faut donc que les auteurs retrouvent une relation économique qui les installe dans une légitimité. La course avec la technologie est épuisante mais elle est indispensable. Les écrivains français sont dans une situation paradoxale : ils sont adulés et reconnus dans leur art et traités comme des moins que rien sur le plan économique. Il faut que cela change, mais il y a du travail !

Vous avez été directeur des centres culturels de San Francisco et du Caire. Comment avez-vous envisagé ces fonctions ? Comment votre expérience d'écrivain est-elle intervenue dans ces fonctions ?
Le voyage est une aventure d'écriture. Travailler au loin c'est se bourrer d'énergie nouvelle, affronter des difficultés inattendues, découvrir des ailleurs et des autrement, souffrir de l'éloignement.
Faire connaître la culture française à l'étranger, c'est changer son échelle de valeurs. C'est mesurer notre petitesse et notre grandeur. C'est dans les choix quotidiens de programmation que mon expérience d'écrivain et ma connaissance du milieu étaient centrales.
Ces deux expériences m'ont apporté beaucoup. C'était très souvent difficile, parfois sombre et toujours radieux.

Lors de votre séjour au Caire vous avez de nouveau écrit sur le sport, Besoin de vélo ? Comment et pourquoi ce livre est-il né ?
Ayant toujours fait du vélo je ne m'étais jamais posé la question de ce qui me poussait à pédaler. Au Caire, j'ai compris tout de suite que je ne pourrai pas pédaler pour la première fois de ma vie. J'ai donc éprouvé le besoin de savoir pourquoi j'aimais tant cela. C'est sur la frustration que j'ai écrit « Besoin de vélo ».

Poils de Cairote a aussi été rédigé lors de votre séjour au Caire. Ces textes écrits au jour le jour donnent à lire votre regard sur cette ville. Comment avez-vous envisagé ce livre ?
« Poils de cairote » au contraire, a été écrit sur l'excès de présence. Je voulais essayer de fixer par petites touches ce que je voyais, ce que je découvrais dans cette ville inouïe dont j'ignorais tout. Au début, l'idée était simplement de donner des nouvelles aux amis en leur adressant un mail chaque matin. Ensuite, c'est devenu un livre.
J'aime beaucoup les contraintes de production. Elles me sont fécondes. Le fait de devoir chaque matin me lever à six heures, écrire mon texte et l'envoyer à sept heures était un stimulant efficace. J'ai tenu les trois ans où je suis resté là-bas.

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet




Chamboula



Bourse Goncourt
de la Nouvelle 1989







Prix Renaudot
des lycéens 1999