© Michel Durigneux

Dominique
Mainard




(entretien publié en septembre 2000
dans le N°20 de la revue Encres Vagabondes)





Vous avez écrit au moment où vous avez reçu le Prix Prométhée : "Les quelques romans écrits avant ce recueil s'enlisaient dans des conflits intimes inlassablement ressassés ; la nouvelle est intervenue à point pour me délivrer du bégaiement. Par sa brièveté et son rythme même, elle permet d'échapper aux excès de l'introspection."
Il est curieux d'en parler aujourd'hui, au moment où je retourne vers le roman... J'avais en effet le sentiment que ma réflexion tournait en rond, ne me menait pas au but recherché. J'avais écrit quatre ou cinq romans entre l'âge de 13 et 20 ans ; il s'agissait de romans d'adolescence, habités par un ressassement intérieur sans fin, des histoires de famille, notamment. La nouvelle m'a permis de sortir d'un cercle, et d'atteindre enfin l'endroit où je voulais aller.

Comment avez-vous pris cette décision ? Lisiez-vous beaucoup de nouvellistes ?
A l'âge de vingt-deux ans, je suis partie vivre aux États-Unis où les anthologies sont nombreuses, où la nouvelle est un genre littéraire aussi prisé que le roman. Je me suis mise à lire beaucoup de nouvelles, et cela a été une véritable révélation. J'ai découvert les nouvelles de James Purdy, de William Faulkner, de Flannery O'Connor, de John Cheever - auteur dont j'ai traduit un recueil, qui vient de paraître au Serpent à plumes. Beaucoup de romanciers américains sont également nouvellistes, et ils sont parfois nouvellistes avant d'être romanciers, comme c'est le cas de Cheever.

A votre avis chaque écrivain a-t-il son souffle propre dans ses nouvelles ?
Il me semble que l'on retrouve une unité d'écriture dans les recueils de chaque nouvelliste. Chez Hubert Haddad, par exemple, l'univers est très souvent fantastique. Ce n'est pas réducteur, j'entends simplement par là que l'on reconnaît le souffle, le style, l'univers de l'auteur - ce qui confère à une œuvre littéraire toute son unité.

Quelles sont vos influences littéraires ?
En ce qui concerne La Maison des fatigués , j'ai été très influencée par les Sud-américains. J'ai découvert Silvina Ocampo, et son univers onirique a marqué le recueil d'une empreinte profonde. Pour ce qui est de mon roman, dont la parution est prévue pour le mois de janvier, je pensais m'être écartée du fantastique ; mais Joëlle Losfeld, l'éditeur (qui a déjà lu le manuscrit), a été d'avis qu'il se situait dans la continuité de La Maison des fatigués.

La marque du fantastique est plus forte dans La Maison des fatigués que dans Le grenadier . Est-ce que le fantastique vous intéresse de plus en plus ?
Dans mon premier recueil, Le second enfant , les nouvelles sont un peu disparates puisqu'il s'agissait de mon passage à la nouvelle et d'un nécessaire apprentissage. Puis, un jour, Hubert Haddad m'a demandé une nouvelle fantastique pour la revue dont il s'occupait ; je ne pensais pas en avoir écrit, mais il m'a dit percevoir cette veine-là dans certaines de mes nouvelles... Et cela m'a en quelque sorte autorisée à aller plus loin. Par la suite, le fantastique est devenu mon genre de prédilection... Cependant, je ne veux pas me cantonner éternellement à un genre bien défini.

Pour vous ce n'est qu'un moment, une étape.
Je pense qu'il est incontournable, et souhaitable, d'évoluer. Je ne veux pas réécrire La Maison des fatigués à l'infini ; je ne veux pas que toutes mes nouvelles ou mes romans puissent se dérouler dans la Maison des fatigués.

Dans ce recueil la construction est particulière puisqu'il y a un personnage et un lieu, communs à toutes les nouvelles.
En un sens, j'avais tous les avantages du roman : j'ai vécu pendant un an avec ce personnage et ce lieu auxquels j'étais très attachée. Mais il y avait également le plaisir d'écrire des nouvelles à part entière. C'est une longueur dans laquelle je me sens très à l'aise. Mais par ailleurs, l'ensemble me donnait des points de repères dont je n'avais pas disposé pour mes deux recueils précédents.

Aviez-vous un projet avec un fil conducteur et une structure précise ?
Oui. J'aurais d'ailleurs aimé réaliser une sorte de fresque dans laquelle on aurait retrouvé les personnages d'une nouvelle à l'autre, avec beaucoup plus d'interférences.... Avec davantage de temps, et de maîtrise, j'aurais peut-être pu faire autre chose. On imagine toujours ce que l'on aurait pu écrire... Peut-être que le jour où un écrivain est parfaitement satisfait de ce qu'il vient de faire, il s'arrête. Quoi qu'il en soit, c'est le recueil qui m'a donné le plus de plaisir au niveau de l'écriture et de la conception.

Le grenadier donne l'impression d'une vie qui se déroule avec l'adolescence, l'âge adulte, la vieillesse.
C'est un pur hasard. Mais au moment d'organiser le recueil j'ai essayé de ne pas mettre côte à côte des nouvelles dont les thèmes étaient trop proches - l'enfance, par exemple. Je me suis efforcée d'alterner.

Vous avez écrit des romans, que sont-ils devenus ?
J'avais écrit un premier roman à treize, quatorze ans - il était d'ailleurs bien meilleur que ceux que j'ai écrits vers seize ans et où je m'engluais dans un romantisme à l'eau de rose... Je l'avais envoyé chez Flammarion. Une lectrice m'a répondu qu'elle le trouvait intéressant, qu'elle souhaitait me rencontrer. Je suis montée à Paris, et la publication a failli avoir lieu. J'ai retravaillé le roman selon les indications qu'elle m'avait données. Mais cela n'a pas marché et la déception a été énorme. J'ai reçu la réponse, négative, le jour de mes quinze ans... Mais j'avais malgré tout reçu suffisamment d'encouragements pour avoir envie de poursuivre. Pendant des années, je suis allée avec ma meilleure amie à la poste envoyer rituellement un nouveau manuscrit en faisant quelques prières...

Quand vous avez commencé à publier, vous avez reçu des prix.
Pour ma toute première nouvelle, j'ai reçu le Prix du jeune écrivain de Muret. C'est un prix qui permet aux sept ou huit premiers lauréats d'être publiés. C'est aussi l'occasion de rencontrer de grands nouvellistes, Christiane Baroche, Georges-Olivier Châteaureynaud, Annie Saumont... Mon premier recueil a reçu le Prix Prométhée, et m'a permis de rencontrer Hubert Haddad. Ces écrivains m'ont beaucoup aidée, et l'expérience prouve également que l'on peut accéder à la publication par différents chemins... Mon premier texte a donc été publié lorsque j'avais vingt-trois ans, dans un recueil collectif. Cela a été mon plus grand bonheur, car c'était l'aboutissement d'une dizaine d'années d'efforts...
Ce jour-là, je me suis dit que la publication de cette nouvelle faisait de moi un véritable écrivain. Mais lors de la parution du premier recueil, je me suis dit que je m'étais trompée, que c'était ce recueil qui faisait de moi un écrivain. Et ainsi de suite...

La première publication donne-t-elle toujours le sentiment d'être un écrivain ?
Oui et non. En ce qui concerne les lecteurs, on sait, bien sûr, que les nouvelles ne sont pas énormément lues. On éprouve une sorte de narcissisme effréné (le fait de voir son recueil sur les tables des librairies...) et parallèlement on se rend bien compte que ce n'est presque rien. C'est ce qui pousse à aller au-delà, à continuer, car tout reste toujours à faire. Il m'est arrivé des choses assez curieuses, néanmoins ; des amis m'ont dit avoir vu Le grenadier dans la bibliothèque d'amis à eux... Cela m'a semblé miraculeux. J'ai parfois l'impression que les seules personnes qui me lisent sont mes amis et ma famille (à qui je donne mes exemplaires d'auteurs !) et j'ai du mal à m'imaginer que de "véritables" lecteurs puissent acheter mes livres. Même s'il y en a très peu, cela m'émerveille toujours... J'oublie parfois que les livres sont publiés pour être lus par des gens qui ne me connaissent pas personnellement.

Le grenadier a eu une bonne presse.
Le grenadier, oui ; La Maison des fatigués a été perçu comme un recueil plus difficile d'accès. Il y a donc eu un peu moins de presse, mais quoi qu'il en soit je ne me situe pas parmi les auteurs qui sont beaucoup médiatisés. Il faut trouver son juste milieu. Je commence à être un tout petit peu reconnue dans le milieu des nouvellistes, par exemple au Festival de Saint-Quentin. Il faut continuer à tracer son chemin. Cela ne me pose pas de problème - beaucoup moins qu'à quinze ans en tous cas, époque où je visais bien sûr la notoriété...

Les rencontres avec les lecteurs dans les bibliothèques, les classes, sont-elles nécessaires pour vous ?
J'en fais peu, mais ces rencontres sont toujours des moments importants. Elles permettent d'avoir un regard différent sur ce que l'on écrit. Il est souvent arrivé que des lecteurs (des enfants ou des adolescents parfois) me fassent des réflexions, des remarques, sur des points qui m'avaient totalement échappés. C'est merveilleux donc, très profitable, mais j'éprouve toujours de l'angoisse avant ces interventions, donc je les limite...

Pourquoi écrivez-vous un roman ? Est-ce l'éditeur qui a insisté ou est-ce pour le plaisir d'écrire un texte long ?
Les deux. Je serais de toute façon revenue au roman, tôt au tard. Est-ce que je l'aurais fait aujourd'hui ? Je ne sais pas... L'éditeur, Joëlle Losfeld, me demandait depuis longtemps un texte plus long. Si la nouvelle permettait de rencontrer davantage de lecteurs, je crois que j'aurais écrit un quatrième recueil... Pour l'instant du moins, la nouvelle est vraiment mon genre littéraire de prédilection, celui qui me convient. L'écriture de ce roman est une expérience passionnante mais également très angoissante, car la construction est bien sûr beaucoup plus complexe. La nouvelle n'est pas un genre plus facile, mais j'ai l'impression de mieux en maîtriser les règles. J'étais très satisfaite du premier jet de mon roman, jusqu'à ce que je me rende compte, à la relecture, que l'écriture en elle-même était celle de la nouvelle... Et que cette densité d'écriture n'était pas compatible avec un roman. La relation au temps, à la chronologie, le style, correspondaient à la nouvelle. Il manquait de la respiration, et j'ai donc dû reprendre intégralement le texte, en le diluant en quelque sorte. Je dois me faire violence pour que le roman ne soit pas trop alambiqué, comme une multitude de nouvelles imbriquées les unes dans les autres. C'est un apprentissage passionnant, mais qui est loin d'être facile.

Vous avez changé d'éditeur.
J'avais rencontré Jean-Marie Laclavetine à l'occasion de la cérémonie de remise du prix du Jeune écrivain. Il est directeur de collection chez Gallimard, et avait accepté de publier Le grenadier. Il a eu quelques réticences lorsque je lui ai soumis les premières nouvelles de La Maison des fatigués ; mais par la suite, quand il a lu le recueil dans son intégralité, il l'a défendu devant le comité de lecture. Cependant Gallimard ne souhaitait pas éditer un autre recueil de nouvelles. Joëlle Losfeld a donc publié La Maison des fatigués. Nos univers ont de fortes résonances, et lors de l'écriture du recueil précédent, elle avait déjà eu la gentillesse de poser un regard pertinent et critique sur mes textes. Je n'aurais donc pu souhaiter mieux.

Vous êtes aussi traductrice.
Depuis cinq ans, c'est mon gagne-pain en effet. De vingt-deux à vingt-sept ans j'ai vécu entre les États-Unis et la France et c'est là-bas que j'ai commencé à traduire. Une fois définitivement installée à Paris, j'ai passé un DUT d'édition à Nanterre. Puis j'ai rencontré Joëlle Losfeld, qui m'a encouragée dans mon désir de devenir traductrice professionnelle et m'a confié mon premier texte, un recueil de nouvelles de Janet Frame. Elle m'a également présentée à d'autres éditeurs. C'est un travail solitaire et prenant, mais passionnant.

Quel rôle peut jouer la traduction dans votre écriture personnelle ?
Cela ne peut qu'influer favorablement sur le style, car c'est une recherche et une exigence permanentes ; la traduction permet une analyse approfondie de la langue d'un auteur. Et sans doute, par-là même, une reconnaissance de son style propre.
J'aimerais pourtant traduire moins, car l'écriture et la traduction sont deux activités très proches... Il est possible d'écrire des nouvelles tout en traduisant, mais très difficile de se consacrer à un roman, qui nécessite beaucoup plus de temps et d'énergie. Quand il m'est arrivé d'interrompre l'écriture de mon roman et de le reprendre deux, trois mois plus tard, cela a été beaucoup plus difficile.

Est-ce que l'univers du conte vous intéresse particulièrement puisqu'on le retrouve dans certaines de vos nouvelles ?
Je pense que vous faites allusion au Bal de la forêt . On m'a souvent dit que mes textes étaient autant des nouvelles que des contes... Je ne trace pas de frontières entre l'un et l'autre genre. Peut-être parce que les étiquettes et les techniques à proprement parler m'intéressent peu ; seul les univers m'intéressent...

Vous parlez beaucoup d'eau, d'algues, de marais, de milieu aquatique.
En effet, et il y aura aussi des marais dans mon roman. On m'a également fait remarquer la présence récurrente d'excréments dans mes textes, dans le Grenadier par exemple, ou le Bal de la Forêt . Il est aussi beaucoup question de personnes difformes, "différentes". Pourquoi ? Je l'ignore, mais ces trois thèmes me fascinent.

Vous abordez aussi le thème de la beauté et de la laideur.
Ce sera également le thème de mon prochain roman. Une petite fille difforme est retrouvée dans un terrain vague ; elle a survécu grâce à un rat qui s'est enroulé autour d'elle et lui a tenu chaud jusqu'au matin. Sur ce terrain vague, un cirque a séjourné quelques jours avant de lever le camp en abandonnant des excréments d'animaux ; la personne qui a abandonné l'enfant l'a déposée dans cet endroit encore tiède pour qu'elle ne meure pas... On la surnomme donc "la fille de la boue et du rat". Devenue grande, cette jeune fille va rencontrer une vieille femme qui a travaillé dans un cirque et est en proie à une certaine forme de folie, un autre de mes thèmes de prédilection. Cette femme était extrêmement belle du temps de sa jeunesse. Le roman traitera donc de la relation entre ces deux femmes, de la beauté et de la laideur...

Souvent dans vos écrits demeurent des zones d'ombres, des flous. On n'est pas toujours sûr d'avoir compris ce que vous vouliez y mettre. Est-ce délibéré ?
Il est dans mon tempérament de laisser des zones d'ombres. Lorsque je rends visite à des classes, il est fréquent que des élèves me demandent des éclaircissements, mais je dois bien leur répondre que je n'en sais pas plus qu'eux - et que je n'ai pas envie d'en savoir davantage ! Si je ne sais pas pourquoi tel personnage a agi ainsi, ou ce qui lui arrive par la suite, je préfère laisser un certain flou. Je n'ai pas envie de tout expliciter. Les enfants ont parfois du mal à comprendre pourquoi je n'arrive pas à leur donner d'explications logiques, à répondre à leurs interrogations. Mais il y a des contradictions permanentes chez tout un chacun, c'est ainsi.

Le flou donne parfois l'impression d'un écran par rapport à une souffrance du personnage, à des sentiments qui ne peuvent pas être exprimés tellement c'est douloureux.
En effet, mais l'ambivalence existe en chacun de nous. Je m'efforce toujours de faire en sorte qu'il n'y ait pas de contradictions inacceptables dans un texte. Les personnages ne peuvent pas être trop ambivalents. Mais le fait de ne pas pouvoir nommer engendre effectivement des zones d'ombres.

Dans Les eaux du Gange un de vos personnages dit : "A cinq ans j'ai découvert que les mots avaient le pouvoir d'éloigner ceux qu'on aime". Pour vous, tout ne doit pas être dit.
Bien sûr, cette nouvelle se situe purement dans le domaine de la fiction, mais je crois qu'il existe en effet un risque à trop en dire. Ne serait-ce qu'en littérature. C'est un défaut fort répandu, si j'en juge par les manuscrits qu'il m'arrive de lire. Les écrivains qui m'ont mis le pied à l'étrier, notamment G.O. Châteaureynaud, m'ont mise en garde contre ce travers. Trop en dire, c'est sans doute ce qui fait le plus de tort à un texte. Il faut savoir faire confiance au lecteur. J'avais un peu ce défaut ; en dire beaucoup plus qu'il n'est strictement nécessaire.

Vous avez une manière très métaphorique de traiter de sujets très graves comme l'excision, l'inceste, le deuil, l'anormalité, la solitude.
C'est également lié au fantastique, bien sûr, et c'est un des aspects de l'écriture qui m'intéresse. L'aspect documentaire ne correspond pas à la façon dont je veux aborder ces sujets-là.

Avez-vous l'impression de découvrir des choses que vous ne pensiez pas avoir écrites en relisant vos textes ?
Oui, mais cela peut aussi se passer différemment. Lorsque j'ai lu l'article paru dans Encres Vagabondes sur Le grenadier , par exemple, je me suis sentie terriblement vexée. J'ai eu le sentiment que certaines choses que je pensais avoir soigneusement masquées, voilées, avaient été percées à jour. Or je croyais avoir soigneusement brouillé les pistes afin que certains sentiments restent invisibles... Je suis toujours très surprise de voir que ce n'est pas le cas.
Lorsqu'on écrit, on se donne parfois l'impression de raconter une histoire qui n'est pas la sienne, mais c'est faux, bien sûr. On a tout à la fois envie d'être entendu, mais aussi que ce que l'on dit soit perçu autrement... Ce n'est pas très cohérent. Quand des lecteurs me disent que mes textes parlent de solitude, j'ai le sentiment qu'ils touchent à quelque chose que je ne souhaite pas voir dévoilé. Dans La Maison des fatigués , le fantastique place sans doute un écran supplémentaire entre le regard des lecteurs et moi. Mais peut-être les textes sont-ils moins touchants ainsi, peut-être trouvent-ils moins d'écho chez l'autre...

Beaucoup de vos personnages sont dans une quête, un désir de transformation. Ils veulent être autrement et en fait ils réalisent que la solution n'était pas là.
En effet... On lutte parfois pour obtenir ce que l'on désire, mais après être parvenu à ses fins on se rend compte que l'on n'est pas plus heureux pour autant. Quand on atteint ses objectifs, on éprouve un contentement passager, puis on repart sur d'autres pistes. Toutes les semaines, j'ai envie de tout quitter, de partir pour un quelconque pays lointain, de procéder à des changements radicaux, mais bien sûr je n'en fais rien.

La transformation vous fascine.
Toute ma vie, j'ai voulu me transformer. Je n'ai jamais été satisfaite de qui j'étais, de ce que j'étais. Je trouvais toujours que la vie des êtres qui m'entouraient était bien supérieure à la mienne, beaucoup plus merveilleuse. J'ai tendance à porter mes amis aux nues, à vouloir leur ressembler...

Certains de vos personnages se transforment mais ils se rendent compte qu'ils sont toujours eux-mêmes.
C'est la raison pour laquelle je n'ai effectué aucune métamorphose radicale ! En effet, comment cesser d'être soi-même...

L'écriture n'est-elle pas une transformation permanente ?
Elle permet, bien sûr, de mener des vies parallèles, de changer, d'ouvrir la voie à certaines choses qui ne pourraient être - et ne seront peut-être pas - vécues. Je n'envisage pas ma vie sans l'écriture. Bien qu'étant soutenue par l'écriture, il me semble parfois difficile de vivre, même si l'on peut considérer que par de nombreux aspects je mène une existence idyllique... Mais sans l'écriture, ma vie serait dénuée de sens.

L'écriture ne permet-elle pas de vivre dans la fiction ce qui ne se réalise pas dans la vie ?
Bien sûr. Mais par ailleurs je me dis parfois que je devrais "vivre moins" pour écrire davantage. Ma vie n'est-elle pas trop confortable, trop mondaine ? Je me le demande souvent... Il est difficile de trouver son équilibre. J'ai toujours eu des remords, me disant qu'un "véritable" auteur devrait nécessairement faire plus de sacrifices, plus d'efforts, vivre davantage dans la souffrance... Je me demande parfois si je ne devrais pas renoncer à tout pour l'écriture... Mais bien sûr, cela reste un fantasme.

On revient au problème de la solitude. Écrire nécessite d'être seul et beaucoup de vos personnages souffrent de solitude.
C'est un autre problème, qui a également à voir avec le thème de l'attente. Il me semble parfois que le fait d'être seul, dans l'attente de l'amour absolu, par exemple, permet d'être plus heureux qu'on ne pourrait l'être dans le quotidien de l'amour. Quand on est dans l'attente, dans la quête, on est habité par le rêve, l'espoir. Est-ce que ce n'est pas plus fort ? Est-ce que le quotidien n'émousse pas tous les angles de la vie ? C'est ma grande peur. Il me semble parfois que j'écris mieux dans l'absence de bonheur, dans une sorte d'insatisfaction...

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet






Pour vous

Roman, 2008
Editions Joëlle Losfeld








Bibliographie :




Le second enfant
Nouvelles, 1994
Editions de La Différence









Le grenadier
Nouvelles, 1997
Editions Gallimard









La maison des fatigués
Nouvelles, 1999
Editions Joëlle Losfeld









Le grand fakir
Roman, 2001
Editions Joëlle Losfeld









Leur histoire
Roman, 2002
Editions Joëlle Losfeld









Les orangers
Roman, 2004
Editions Joëlle Losfeld









Le ciel des chevaux
Roman, 2004
Editions Joëlle Losfeld











Je voudrais tant
que tu te souviennes

Roman, 2007
Editions Joëlle Losfeld







Vous pouvez lire
des notes concernant

Le ciel des chevaux

Je voudrais tant
que tu te souviennes


Pour Vous

dans la partie
"Nos lectures".





Leur histoire
a été adapté à l'écran
par Alain Corneau
en 2005 sous le titre
"Les mots bleus"



Une fiche concernant le film est disponible sur
www.allocine.fr
avec le synopsis, une galerie de photos, les secrets du tournage, les critiques de la presse...