Vous avez exposé au Musée d'art et d'histoire de Saint Denis
nombreuses de vos peintures réalisées entre 1989 et 2012. Quel rôle
joue une exposition de ce type dans votre parcours créatif ?
Une telle exposition au-delà du plaisir (et de l'angoisse de voir son travail
déployé dans un vaste espace muséal) est toujours pour moi
le moyen de me projeter dans la peinture, encore, un peu plus loin. Je ne conçois
pas un tel projet d'exposition sans un projet de peinture. Donc pour cette exposition
j'ai réalisé neuf très grandes toiles de 200x250 cm et de
200x300cm pour la chapelle des Carmélites du musée. Cette série
s'appelle La danse idéale des constellations, inspirée d'une
divagation de Stéphane Mallarmé, Mallarmé à qui j'ai
consacré toute une exposition récemment (LNB 2011-2012) pour le
texte Le Nénuphar Blanc, exposition qui s'est tenue au musée
Stéphane Mallarmé entre septembre 2011 et mars 2012.
L'espace de la chapelle des Carmélites est très grand et il fallait
tenir le lieu par une scénographie des uvres à son échelle.
Ce fut un engagement de travail très fort, des mois de peinture dans l'atelier
et finalement un merveilleux temps dans le travail.
Comment avez-vous conçu l'exposition ? Est-ce une forme d'écriture
?
Non ce n'est pas une forme d'écriture car il s'agit de peinture puisque
je ressens les choses de cette façon-là. Je n'écris pas
moi-même, écrire pour moi c'est le même engagement mais c'est
autre chose, une autre façon d'être, peut-être plus mentale
en tout cas.
La vérité de la sensation pour moi passe par la peinture, sa réalisation.
Je ne dis pas que c'est facile. C'est ainsi.
Mais dans ce musée qui est un ancien Carmel, l'écriture est partout
présente avec la présence des sentences partout et je me suis
aussi plu à dialoguer avec ces écrits-là. Mur de la
montée des anges, Encore un pas et puis le ciel
Une partie des livres manuscrits-peints que vous avez conçus avec
des écrivains essentiellement des poètes, ont été
exposés. Dans l'entretien précédent vous parliez de l'origine
de ce travail en commun. Comment s'est déroulé ensuite le travail
avec eux ?
A Saint-Denis le dispositif créé pour l'installation a permis
d'exposer 70 livres sur les 130 titres de la collection. Mais cela ne m'ennuie
pas : le principe d'exposition de ces livres est qu'ils s'adaptent aux lieux
qui les reçoivent, géographie, espace du lieu
Donc leur
présentation peut-être partielle. Au musée du Cayla dans
le Tarn a été suspendue cette installation avec 50 livres manuscrits-peints
– 50 poètes – et cela fonctionnait tout à fait bien dans l'espace
du musée.
Le partage de chacun des livres manuscrits-peints avec les poètes (16
livres, 8 pour chacun à l'issue de la collaboration) donne à chacun
sa liberté de mouvement avec les livres reçus : vente, offrande
du livre, tout est envisagé. Les livres circulent beaucoup.
Pour ma part, les expositions de ces livres donnent chaque fois lieu à
l'organisation de lectures avec les poètes avec lesquels je les ai réalisés
et ceci depuis des années. Ainsi au musée de Saint-Denis, Valérie
Rouzeau et Sophie Loizeau ont proposé une lecture à deux voix
et Gaston Puel a fait une lecture de ses textes en mai dernier au moment du
vernissage de l'exposition au musée du Cayla.
C'est la suite logique de tout ce travail.
Vous avez réalisé 130 livres manuscrits-peints. Pour quelle
raison avez-vous interrompu cette création partagée ?
Ces 130 titres forment une collection qui porte le titre de Excepté
peut-être une constellation, clin d'il au Coup de dés
de Mallarmé.
130 livres manuscrits par des poètes très différents et
peints par moi, devenus collection dans le temps et la durée des collaborations.
La collection a commencé en 1989 avec un tout premier livre manuscrit-peint
avec Bernard Vargaftig et s'est terminée en 2008 avec un dernier livre
manuscrit-peint avec Gaston Puel.
130 titres multipliés par 16 exemplaires chaque fois, cela fait des centaines
de livres et je crois qu'il faut savoir arrêter les choses quand la lassitude
du faire arrive.
Je ne regrette aucun des livres réalisés, leur aventure si particulière,
si différente chaque fois, car l'aventure de ces livres était
avant tout humaine donc passionnante.
Et puis le cartonnier qui me faisait les emboîtages est parti et je me
suis dit qu'il était temps d'arrêter.
Mais je continue à peindre des livres d'une autre manière, plus
lente peut-être. L'aventure des manuscrits-peints s'est faite aussi dans
la vitesse de la vie.
Quel rôle jouent ces expériences de collaboration créatrice
dans votre parcours pictural ?
Pour peindre, je n'ai finalement pas besoin de réaliser des livres, la
peinture sur les supports des toiles et grands papiers est suffisante. L'attrait
du livre est l'attrait du texte. Je suis finalement une lectrice et ai pu rencontrer
les poètes lus, concevoir avec certains d'entre eux ces livres, imaginer
égoïstement une véritable anthologie de poésie d'aujourd'hui,
conçue dans la rencontre avec l'autre.
Le temps aidant, la rencontre se fait dans les deux sens et les poètes
ont aussi regardé ma peinture, l'ont interprétée, m'en
ont parlé, ont écrit pour elle. J'ai beaucoup reçu là.
La peinture n'est pas faite seulement pour être vue mais pour VOIR et
pareil pour l'espace de l'écriture. Nous nous comprenons bien.
Enfin l'atelier est un lieu de solitude du travail et faire ces livres permet
l'échange, l'irruption dans l'atelier d'un autre ou d'une autre qui va
remuer un peu cette solitude.
Bernard Noël a suivi votre parcours et a écrit sur vos peintures
dans le catalogue de l'exposition. Comment se passent les échanges avec
un poète comme Bernard Noël ?
La collaboration avec Bernard Noël pour l'exposition de Saint Denis s'est
imposée d'elle-même. En effet, il s'agissait de montrer un parcours
de travail peintures et livres peints dans le temps (1989-2012) et Bernard Noël
a écrit dès 1990 un texte pour mon travail, Un lieu de passage,
qui compte beaucoup pour moi. Il est visionnaire de ce qui va arriver ensuite
dans ma peinture.
Puis d'autres textes ont suivi : en 1998, Roman de la fluidité
; en 2000, Couleur et volume
Il est devenu la colonne vertébrale de cette exposition avec la présence
de fragments de textes dans les salles d'exposition sur des kakémonos,
la projection du texte écrit pour cette exposition, Le Sentir-voir,
dans la chapelle des Carmélites en vis-à-vis des grandes peintures
elles aussi inédites.
En fait l'exposition s'est tout entière adossée à ces textes
qui cheminaient dans le temps du travail et cela m'a aidée à définir
le projet d'exposition, à choisir les toiles qui devaient être
exposées. Cet accompagnement est aussi évident dans le catalogue
de l'exposition, édité par IAC, qui contient quatre textes de
Bernard Noël dont certains étaient devenus difficiles d'accès,
les catalogues d'exposition pour lesquels ils avaient été écrits
étant épuisés.
Je mesure l'importance de cet appui, de cette lecture de mon travail, la beauté
qui m'a été donnée là et le temps a construit aussi,
bien sûr, ce travail de mémoire. C'est à la fois très
intime et complètement public, donné à moi, à l'autre,
au lecteur, au visiteur. C'est très fort.
Propos recueillis par Brigitte Aubonnet en juillet 2012