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Photo © Brigitte Enguérand
La loi du marcheur

(entretien avec
Serge Daney)


Du cinéma !... au théâtre !

Nous avons tous un film qui a marqué notre enfance, un mercredi dans une salle de cinéma de quartier, un film qui sans que l’on s’en rende compte nous a laissé ses traces, des traces qui nous reviendront beaucoup plus tard au moindre appel de notre mémoire.

Serge Daney pour sa part avait de la chance, dans son enfance, certain soir sa mère disait "On fait pas la vaisselle… on la f'ra plus tard… on va au cinéma... Et on prend l’enfant…" L’enfant c’était lui ! Ainsi il traînera (loin de la vaisselle) dans la plupart des salles de cinéma du 11ème arrondissement.

Ma première émotion cinématographique, je l’ai ressentie avec Ben-Hur de William Wyler ! J’avais onze ans et nous avions attendu mon frère et moi un temps interminable au bout d'une queue monstrueuse pour avoir enfin la possibilité d’occuper les dernières places disponibles de la séance… De nos jours les enfants (les nôtres !) ne font plus la queue pour recevoir des images, ce n’est plus une démarche... Elles viennent à eux aussi facilement que l’on déclenche un zapping sur une télécommande.

La loi du marcheur nous parle de tout cela, de l’essence des images, de la fascination qu’elles peuvent nous provoquer, de leur force, et surtout de leur capacité de manipulation.

Lorsque les frères Lumière projettent un de leurs premiers films, L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat, les spectateurs jettent les chaises sur lesquelles ils étaient sagement assis pour s’enfuir hors de la salle, comme si ce train allait les écraser. Fascination de l’image ! Première fascination de l’image !

Personne ne tremble plus devant la projection de ce très bref morceau de pellicule… nous assistons incrédule à la banalisation des images.

C’est à de telles réflexions que nous entraîne le texte écrit et dit par Nicolas Bauchaud d’après un entretien de Serge Daney (rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, journaliste à Libération, fondateur de la revue Trafic) avec Régis Debray.

La fascination des images s’épuise autant que les gouttes de pétrole dans ce monde... et nous ne pouvons que penser avec regrets et remords à nos enfants… nos petits-enfants… qui ne pourront puiser leurs images fascinantes que dans le puits sans fond et sans vergogne d’un écran de télévision ou d’ordinateur.

Ce que nous dit aussi Nicolas Bouchaud dans les lignes de cette pièce est l’absence de dialogue entre la télévision et nous. Elle ne s’adresse plus à nous, elle téléphone à quelqu’un d’autre : un supérieur, un intime qui n’est pas dans l’instant : nous ; qui n’est pas dans notre intimité… C’est l’autre qui s’adresse à un autre qui n’est pas forcément nous ! C’est surtout une société à part entière qui s’autofinance par nos salaires, par les images qu’elle nous vend et que nous achetons.

En filigrane de ce texte qui nous interpelle bien souvent, sont projetés sur l’écran, unique objet qui constitue le décor et avec lequel d’ailleurs Nicolas Bouchaud joue avec beaucoup d’habilité, des extraits de Rio Bravo ce grand western de Howard Hawks avec John Wayne et Dean Martin ; des extraits comme nous n’imaginons pas les avoir vus. J’ai été étonné par la force des images du ralenti de la marche de John Wayne dans ce décor de western. Faut-il apprendre à regarder les images que nous visualisons trop souvent avec autant d’insouciance ?

Nicolas Bouchaud a tout l’espace pour lui dans cette pièce… Et il le remplit bien… Par exemple lorsque devant un écran devenu blanc, il reproduit seul une scène de Rio Bravo que nous venons de voir. Il est à la fois John Wayne et Dean Martin, il est les images

La loi du marcheur nous donne à moudre des sujets de réflexions sur lesquels sans doute nous aurions oublié de nous pencher.
Lorsque le cinéma met un pied au théâtre il découvre ce qu’il lui manque : l’échange avec son public.

David Nahmias 
(02/10/10)    



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Une loge
pour le strapontin









Photo © Brigitte Enguérand

Théâtre
du Rond-Point


2 bis, avenue
Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

Location :
01 44 95 98 21

jusqu'au 16 octobre



un projet de
Nicolas Bouchaud

mise en scène
Éric Didry

entretiens réalisés
par Régis Debray

un film de
Pierre-André Boutang,
Dominique Rabourdin

avec
Nicolas Bouchaud

collaboration artistique
Véronique Timsit

lumière
Philippe Berthomé

scénographie
Élise Capdenat

son
Manuel Coursin

régie générale
Ronan Cahoreau-Gallier

vidéo
Romain Tanguy,
Quentin Vigier

stagiaires
Margaux Eskenazi,
Hawa Kone


© Stéphane Trapier