Dans sa pièce Mesure pour mesure Shakespeare nous transporte à Vienne au moment où le Duc Vincentio, homme de désir et souverain corrompu, part en voyage, laissant les clés de la ville à Angelo qu'on dit d'une moralité sans tache : « un homme dont le sang n’est que de la neige fondue, qui ne sent jamais le voluptueux stimulant et l’impulsion des sens, mais qui amortit et émousse son instinct naturel, au profit de son âme, par l’étude et par le jeûne. »

Les premières mesures de celui qui se pose en représentant de la vertu étant de fermer toutes les maisons closes et de faire respecter les lois contre la fornication, Claudio, qui a eu le tort d'aimer charnellement sa promise sans attendre le mariage, est condamné à mort. Il demande à sa sœur Isabelle, jeune novice, d'aller plaider sa cause devant l'intransigeant gouverneur.

Cette jeune femme, véritable source de lumière dans une ville rongée par la syphilis et les multiples intrigues va mettre à mal la carapace (réelle ? prétendue ?) d'Angelo qui, se laissant aller à son désir pour elle, lui propose de laisser la vie sauve à son frère si elle lui donne son corps.

C'est donc autour de ce cas de conscience que va se construire la pièce et le piège du Duc.

En effet nous retrouvons dans Mesure pour mesure un schéma que partagent nombre de comédies de Shakespeare : un personnage fait croire à son départ pour regarder, caché, ses congénères s'agiter. Sous une fausse identité il va souvent jusqu'à tirer les fils de leurs actions. C'est donc ici déguisé en moine que Vincentio va manipuler chacun, menant une danse macabre au cours de laquelle les personnages vont devoir se révéler et mettre à l'épreuve du réel leur morale et leurs principes.

La mise en scène de Guillaume Gras suit la manipulation en faisant des choix forts en matière de scénographie. En effet le décor se compose uniquement de trois panneaux qui vont bouger jusqu'à enfermer les personnages, pris au piège du Duc. Ces mêmes panneaux se transformeront dans le dernier acte en panneau d'identification des commissariats américains pour la confrontation finale des personnages, les uns envers les autres mais surtout face à leur conscience.

Choisir cette farce satyrique dans laquelle Shakespeare mélange les classes sociales et les niveaux de langue – ne reculant pas devant le grivois pour ridiculiser le puritanisme – c'est s'emparer de la question du pouvoir et de la justice. Thèmes que traite avec justesse et fraîcheur cette jeune compagnie, qui s’attache à éviter tout manichéisme. Car si la pièce se termine par la punition d’Angelo, victime de sa propre politique, elle donne également à voir le rapprochement du Duc et d’Isabelle. Dans cette critique du pouvoir absolu subsiste donc une place pour l'espoir toujours renouvelé en l'homme – dans ce qu'il a de meilleur et de pire !

Amandine Farges 
(28/08/17)