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Dea LOHER

Innocence


À l’avant-garde du théâtre Outre-Rhin, la dramaturge allemande Dea Loher, entre avec sa pièce Innocence au répertoire de la Comédie-Française.
Le rideau se lève, côté cour, côté jardin, sur des écrans géants. Y figurent, en noir et blanc, les projections de visages crayonnés. Disséminés aux quatre coins de la scène, comme en de petits ateliers humains, des personnages, debout ou assis, attendent pour jouer.

On est dans une grande ville portuaire européenne. Deux sans-papiers (Nâzim Boudjenah et Bakary Sangaré) assistent, sans lui porter secours, au suicide d’une jeune femme rousse qui, avant son geste fatal, a replié soigneusement ses vêtements sur le bord du quai. Peu après, les deux compères dénichent un sac rempli d’argent.
Agenouillé en bord de scène, Fadoul (excellent Bakary Sangaré) soliloque face au public: « Voilà un don de Dieu ! » La pensée magique en pleine effervescence, il s’interroge : « Dieu, il est où Dieu ? En nous ? C’est nous qui le fabriquons. Non, Il est là ! Dans ce sac-plastique. » Et de brandir les liasses de billets : « 200089 € 77 ».
Effleurés par le regret de ne pas avoir porté secours à « la suicidée », les deux hommes viennent en aide à Absolue (Georgia Scalliet) une jeune aveugle stripteaseuse. Il suffira de l’opérer et elle recouvrera la vue.

La pièce est lancée et, à tour de rôle, les groupuscules de comédiens allument la parole. Ici, c’est le trio Rosa, une jeune fille rousse (Pauline Méreuze), la mère de Rosa (Danièle Lebrun) et Franz (Sébastien Pouderoux). Rosa est le copié-collé de la noyée. Franz, époux de Rosa, est heureux. Employé des Pompes Funèbres, il s’occupe de récupérer les cendres des inconnus qui se suicident.
S’élève, à un autre coin du plateau, la voix d’un jeune médecin, candidat au suicide, avant celle de la fantasque Ella (Cécile Brune) dont l’orfèvre de mari, au lieu de s’occuper d’elle, a passé ses jours à fabriquer des bijoux en or. Elle brandit un livre sur « La non fiabilité de la vie », elle hurle son aigreur existentielle.
Que d’histoires emberlificotées !
Le mal-être ronge ces êtres. Pas de salut à l’horizon, en ce monde tout du moins.
Il arrive que les groupuscules soient à l’unisson. Perchés sur une table ou une chaise, ils aperçoivent un  postulant au suicide à la crête d’un pont. Ils l’invectivent de loin : « Allez !  Qu’est-ce qui le retient ? S’il est décidé. Pourquoi ne saute-t-il pas. Comment ça fait un suicide ? Y a-t-il Dieu pour vous accueillir après ? »
Leurs répliques hésitent. Bafouillent. C’est que les personnages, livrés à leurs contradictions, se perdent en des voies sans issue.

   Le théâtre de Dea Loher porte un regard sombre sur le dénuement humain. En perpétuelle agitation, les personnages n’ont ni la capacité d’analyse, ni les moyens de rebondir parce que leurs échanges verbaux subissent les soubresauts d’une mélancolie sourde. Et c’est presque le chant d’une désespérance plutôt que celui d’une « Innocence » qui se décline au fil de ce spectacle.

On peut émettre quelques réserves relatives à la mise en scène du Québécois Denis Merleau. Celle-ci aurait pu être moins figée et ouvrir davantage les expressions des personnages, leurs jugements, afin d’apporter un éclairage plus consistant sur ce riche texte de Dea Loher.
Les comédiens en revanche sont épatants.
Qu’on ne s’y trompe pas ! Innocence est en plein dans l’air du temps et cette dramaturgie nous renvoie à l’agencement bien fragile de notre monde contemporain.

Patrick Ottaviani 
(16/05/15)    



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Une loge
pour le strapontin









Comédie-Française
Salle Richelieu


Place Colette
75001 Paris




Traduction
Laurent MUHLEISEN

Mise en scène
et scénographie
Denis MARLEAU

Avec
Claude MATHIEU
Catherine SAUVAL
Cécile BRUNE
Bakary SANGARÉ
Gilles DAVID
Georgia SCALLIET
Nâzim BOUDJENAH
Danièle LEBRUN
Louis ARENE
Pierre HANCISSE
Sébastien POUDEROUX
Pauline MÉREUZE

Collaboration artistique
et conception vidéo
Stéphanie JASMIN

Costumes
Jean Paul GAULTIER

Lumières
Marie-Christine SOMA

Diffusion
et montage vidéo
Pierre LANIEL

Musique originale et son
Jérôme MINIÈRE

Dessins d’animation
F. DUFOUR-LAPERRIÈRE

Maquillages
Carole ANQUETIL