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Laurent GAUDÉ
Le premier acte de la pièce se déroule sous le soleil et la poussière
de pierre, parmi les ruines. Les vaincus, incarnés par Farouk le vieux
père, broyés par l'histoire, spoliés de leur terre, humiliés
par l'occupant, semblent condamnés à perpétuité
à la honte, la misère, la douleur de l'absence des leurs. Ici,
quand le bruit des hélicoptères ou celui des chars s'éteignent,
on peut deviner, parfois dans le silence, comme des voix au loin, venues de
l'autre côté. L'ordinaire est fait d'eau marron qui coule des robinets,
de coupures d'électricité aussi incontournables que les contrôles
d'identité aux barrages ou l'intimidation des soldats. Le seul bonheur
de Farouk est d'avoir sa fille Adila auprès de lui. Une femme maintenant,
à laquelle il voudrait pouvoir transmettre les clefs de sa maison détruite
pour qu'elle devienne gardienne de la mémoire de sa famille et de son
peuple. Il se berce aussi de l'espoir de retrouvailles proches avec sa sur,
partie du pays il y a une trentaine d'années. La revoir avant de mourir,
à défaut de voir ce territoire pour lequel il s'est tant battu
recouvrer sa liberté, le tient éveillé la nuit et attentif
au vent, le jour. Le deuxième acte se joue de part et d'autre de la frontière,
avec Meriem, la sur de Farouk que l'existence au camp de transit ou dans
la périphérie de la ville, n'a pas aidée à s'intégrer,
ni à cicatriser le manque, du pays, de la famille, de son frère.
Pour y retourner et retrouver Farouk qui l'appelle et qu'elle entend dans ses
rêves, elle fait appel au fils du passeur qui l'avait aidée dans
sa fuite pour qu'à son tour, il lui serve de guide pour ce retour à
contre-courant. Le troisième acte se déroule dans la ville de l'autre côté, avec Meriem qui tente de partager avec Adila leurs souvenirs d'enfance communs avec le père et la découverte par la jeune fille de ces lieux étrangers où elle ne trouve pas sa place. L'enfant des gravats, diablotin que rien n'arrête, surgit parfois pour lui rappeler sa terre ravagée et les siens restés là-bas. Face à l'impuissance des pères face à l'ennemi, à l'indifférence de la ville, à la violence symbolique et réelle de la situation, Adila choisira la mort et le sacrifice. Le dernier acte bascule dans le fantastique et la folie autour des quatre protagonistes
principaux : Farouk, Adila, Meriem et l'enfant des gravats. L'écrivain, à travers l'histoire d'une famille séparée
par la guerre, incarne l'enlisement d'un conflit marqué par l'oppression
de l'occupant, le désespoir et la double peine des vaincus qui voient
leur territoire disparaître avec l'annexion, la haine qui peut conduire
jusqu'à un irrépressible désir de vengeance, voire jusqu'au
terrorisme. Son texte, sans jamais porter de jugement, explore également
par l'intérieur les mécanismes qui peuvent transformer une victime
en bourreau. L'auteur termine tout de même par une faible lueur d'espoir : la mémoire transmise par Meriem, au plus abîmé d'entre eux, à cet enfant des gravats incarnant l'innocence, pourrait redonner du sens à ces combats de caillasses, et permettre à la communauté de recouvrer sa dignité et sa force. "Le combat est politique, disait Farouk, souviens-toi. Cette pièce a été montée par Vincent Goethals,
directeur du
Théâtre du Peuple,
pour le festival de Bussang avec
une distribution remarquable (dont Jean-Marie Frin dans le rôle de Farouk,
Marion Lambert dans celui d'Adila, Marc Schapira dans celui du passeur, Aurélien
Labruyère en enfant des gravats et Christiane Lallemand en Meriem), et
une mise en scène qui sublimait parfaitement ce glissement d'une réalité
tragique vers un univers fantastique conjuguant spectres et lumière.
Une représentation qui a du laisser dans la mémoire des très
nombreux spectateurs présents, dans la mienne en tout cas, une trace
et une émotion prégnantes. Dominique Baillon-Lalande (06/05/13) |
Sommaire Théâtre Actes Sud Papiers (Juin 2012) 112 pages, 15 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : La Porte des Enfers Ouragan Pour seul cortège |
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