Opus cœur

d'Israël Horovitz





Crescendo à Hébertot


Les élèves des collèges et des universités sont souvent jugés par le corps enseignant de façon sommaire. Il y a les bons disciples et il y a les autres. Mais chez ces derniers qui, dans ma génération, s'installaient sur les bancs du fond, on trouve des adolescents que des professeurs manquant de pédagogie ou de générosité n'ont pas su révéler ainsi que des gamins marginalisés, rapidement et sans tendresse, dans la catégorie des petites têtes ou des ratés. D'évidence, il y a parmi ces rejetés de la formation, les rejetons d'une classe sociale bien moins policée que les élitistes maîtres-penseurs à diplôme incorporé.

Dans Opus cœur d'Israël Horovitz, le professeur Jacob Brackish, ex-musicologue distingué, est de ceux-là. Ce retraité bougon se justifie de son action passée et affirme sans rire "J'étais sévère… mais juste". Inutile de préciser le conflit latent que ce solitaire, aussi malade que prétentieux, va entretenir avec une femme de ménage possédant à la fois un tempérament combatif et un solide bon sens. Et cette femme a peut-être de bonnes raisons de s'opposer à lui.

Vous comprenez dès les premières répliques de la pièce le heurt à venir des deux caractères. Lutte pas longtemps feutrée qui va augmenter en intensité à la manière d'un crescendo musical. Et, sans vouloir vous dévoiler le détail de ce conflit intimiste et révélateur d'une terrible ségrégation concernant l'accès à la connaissance, vous ressentirez tout au long d'Opus cœur une émotion de spectateur qui s'amplifie parallèlement à la dramaturgie.

Le vieillard, homme de certitudes, est joué par Pierre Vaneck qui s'est glissé dans cette peau, comme il le fait habituellement, avec un grand souci de véracité et de réalisme Grâce à sa crédibilité dans ce rôle j'ai reconnu en lui certains professeurs de jadis ne manquant ni d'une indubitable présence ni d'une morgue difficile à supporter ; de plus il y ajoute par petites touches le côté futé servant d'autodéfense à son personnage.

Quant à la femme de ménage, elle trouve en Astrid Veillon une interprète magistrale qui révèle une remarquable comédienne, et dans toutes ses facettes : la veuve pas trop triste, la femme motivée, la moqueuse qui tire la langue à la hiérarchie, la victime d'un monde cruel, l'étudiante frustrée et la teigneuse revancharde. Il fallait d'ailleurs une actrice de ce calibre pour intégrer le texte bien cousu d'Horovitz et accompagner Pierre Vaneck dans sa tradition théâtrale habitée et maîtrisée. Astrid Veillon gagne ainsi une place tout à fait importante dans l'univers contemporain des Gens de Théâtre. Conséquence : les deux prestations sont à la fois équilibrées et complémentaires.

La mise en scène de Stephan Meldegg et le jeu des lumières d'Eric Milleville impriment à la pièce un rythme enlevé qui n'exclut pas le détail révélateur. Le décor de Stéphanie Jarre apporte des solutions astucieuses sans nuire à la vraisemblance d'une petite maison sans prétention mais confortable. Le public s'indigne devant l'arbitraire d'une éducation intolérante et inéquitable. Ensuite il compte attentivement les points d'un règlement de compte sans concession et il s'émeut quand la tendresse arbitre le conflit. Salut les artistes.

Claude Chanaud 
(27/10/06)    



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Montreurs d'ours





Théâtre Hébertot

78 bd des Batignolles
75017 Paris

Réservation :
01 43 87 23 23



Mise en scène :
Stephan Meldegg



Avec


Pierre Vaneck

et


Astrid Veillon






Le texte est publié par
L'Avant-Scène Théâtre