Retour à l'accueil du site






Joann SFAR



Klezmer





KLEZMER nous invite à un triple voyage :
– géographique : vers l'Est, en Ukraine sur les rives de la mer Noire
– historique, vers la fin du 18e en pleine culture yiddish (à Odessa, vivait la plus importante communauté juive d'Ukraine)
– musical : jouée en Europe Centrale et Orientale jusqu'à l'aube du XXe siècle par des musiciens juifs itinérants, la musique KLEZMER est par essence une musique de fête.

Mais comment réussir à mettre en scène la musique dans une BD qui est par nature le monde du silence? Par la poésie, par le dessin et les couleurs, quand les personnages dansent et volent dans les airs sur un "chilibilibili".

Dans La conquête de l'Est, chacun des héros de l'histoire fait son entrée :
- Noé DAVIDOVITCH, dit " le Baron " fait partie d'un groupe de musiciens juifs itinérants, ancienne fanfare de l'armée polonaise. Une rixe les oppose à un autre orchestre ; il est le seul survivant de ce groupe après qu'il a été abattu par la concurrence.
- Il est rejoint par Hava, jolie jeune femme qui fuit son village pour échapper à un mariage arrangé.
- le jeune YAACOV a 15 ans. Renvoyé de sa YESHIVAH (centre d'étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme orthodoxe) parce qu'il a volé le manteau du rabbin, il croise la roulotte et les cadavres brûlés du groupe du Baron : il prend un banjo-guitare et s'essaye à cet instrument.
- Sur le chemin il rencontre VICENZO, lui aussi exclu de sa YESHIVAH pour avoir volé des pommes. Ils sont témoins de la violence des cosaques à l'égard d'un tzigane qu'ils pendent à la branche de l'arbre où ils se sont tous les deux réfugiés.
- TCHOKOLA raconte : les cosaques ont éventré son oncle avec la complicité des moujiks qui détestent les gitans.
Tous ont rompu avec leurs attaches. Ils sont libres de toute contrainte et jouissent avec bonheur de leur liberté "une belle bande de libres penseurs". De leur rencontre naît un orchestre KLEZMER. VICENZO joue du violon : " dans ma famille tout le monde est violoniste, même la bonne, même les morts", TCHOKOLA joue de la guitare, le Baron de la clarinette, Hava chante des chansons yiddish.
Il faut survivre dans un univers souvent hostile. Ce sont des hommes et des femmes qui conquièrent leur liberté même quand le prix à payer est l'insécurité, la faim, le froid, la solitude. Mais ce qui domine c'est la fête, une jubilation continue avec ses blagues juives et la musique qui réchauffe les cœurs.

Le deuxième épisode, "Bon anniversaire Scylla", nous fait partager une nuit de musique en l'honneur d'une vieille dame riche. Tous jouent et chantent et des liens d'amitié se tissent à l'unisson de leur musique. TCHOKOLA raconte des histoires juives à sa façon qui sont à mourir de rire. Ou des histoires pour le cosaque PENDRAC, le majordome de la vieille dame qui le font pleurer de bonheur, comme le font les slaves.

Dans l'épisode III, "Tous des voleurs !", les héros s'installent dans la maison de Scylla avec le majordome : ils y croisent des bandits armés issus des groupes juifs d'auto-défense, des intellectuels, des gitans ; il y a des la castagne et de la musique.

L'épisode IV, "Trapèze volant", débute par une scène hilarante : Baron a un chagrin d'amour, il joue tristement et n'a aucune envie de parler. TCHOKOLA essaie de le consoler mais plus il lui parle, plus Baron se mure dans le silence. On l'entend penser "je hais la discussion sur l'amour".
VICENZO tombe amoureux d'une belle trapéziste ; il déclare sa flamme dans un numéro de trapèze volant incroyable. Un dialogue quasi surréaliste s'en suit : "Dieu existe mais je n'y comprends rien. Depuis que je transgresse les commandements, il ne m'arrive que des choses sensationnelles. J'aurais admis qu'il ne se passe rien, ça aurait signifié qu'il avait autre chose à faire que surveiller le pauvre VICENZO. Mais qu'il récompense mes mauvaises actions…"
Au milieu d'un dessin, comme toujours foisonnant, il y a de beaux portraits de femmes ; HAVA aussi belle et rêveuse que ZLABIA, la fille du "Chat du Rabbin". L'aquarelle ajoute de la poésie et du mouvement aux dessins.

A la fin de chaque épisode, Joann Sfar nous offre une quinzaine de pages de ses notes : l'histoire de son grand père originaire d'Odessa, son amour de cette musique, l'art de conjuguer aquarelle et BD. Il nous livre ses réflexions intimes et philosophiques qui prolongent la lecture bien au-delà des textes et du dessin.

KLEZMER est la réponse ashkénaze au "Chat du Rabbin". Le regard que porte Joann Sfar sur cette communauté est pleine de tendresse malgré la violence subie et la violence pour survivre. Comme le disait Chagall, "je voudrais prendre les juifs de mon village et les mettre à l'abri dans mes tableaux", Joann Sfar "garde ses morts", "chante un terroir qui n'existe plus". "Si on prend conscience que ce monde-là est mort, on peut sans doute donner aux chants KLEZMER une valeur qui dépasse le folklore." C'est aussi une réflexion sur l'identité juive : qu'est-ce qu'être juif quand on a cessé de croire à Dieu, quand on cesse de suivre les prescriptions ? "Si le judaïsme est quelque part, c'est dans ces paradoxes" nous dit Joann Sfar.

"Si je dessine KLEZMER aujourd'hui, c'est sans doute parce que je suis né après Auschwitz et que j'ai grandi avec cette idée inquiétante : les idées humanistes et les utopies républicaines sont révocables à tout moment."

Nadine Dutier 
(11/02/12)    



Retour
Sommaire
Bandes dessinées






Editions Gallimard
www.bd.gallimard.fr






Volume 4
Trapèze volant








Volume 1
La conquête de l'Est








Volume 2
Bon anniversaire Scylla








Volume 3
Tous des voleurs !





Visiter le site de
Joann Sfar :
www.joann-sfar.com