Comment s’occupent les adolescents dans une station balnéaire pendant les dix mois qui séparent les lumineuses périodes estivales ?

L’album commence, de manière très ironique, comme un documentaire sur la recherche de l’Atlantide au fond de la Méditerranée. Mais peut-être l’Atlantide est-elle aujourd’hui en surface, au bord de la mer, « fière, clinquante et bariolée », avec une vaste plage envahie par des vacanciers de la France entière. Cependant, une fois les touristes partis, il ne reste plus « qu’une tribu égarée sur ses propres terres, hagarde, condamnée à tuer le temps dans l’attente de l’été suivant ». La tribu des ados quand la fête est finie… Comme des Atlantes punis par les dieux.

Les divers épisodes de cette histoire sont séparés par de superbes doubles pages. Si la première montre une plage surpeuplée colorée et ensoleillée, les suivantes changent de ton. On y voit la plage vide, les ciels nuageux, les campings fermés, l’espace rendu aux oiseaux sauvages, l’Aqualand déserté… Et au milieu de tout ça, des ados qui s’ennuient et cherchent à coexister de manière plus ou moins pacifique.

Il y a Luna la fille populaire, jolie et séductrice, toujours le téléphone à la main, n’hésitant pas à photographier les parties les plus intimes de son corps pour les envoyer à Mel, sa copine, confidente et faire-valoir, qui souffre d’obésité et dont elle se moque de temps à autre.

Il y a Gabriel qu’on appelle Cosmos parce qu’il a toujours l’air dans la Lune, qui vit seul avec son père depuis la mort de sa mère, un père qui refuse les nouvelles technologies et lui interdit d’avoir un smartphone. Gabriel traîne toujours avec Tom, gentil et un peu naïf, qui aimerait sortir avec une fille mais ne sait pas comment s’y prendre…

Et puis il y a aussi le mauvais garçon, Loïc, le « bad boy » qui sèche le collège dès le jour de la rentrée et file avec ses copains à la recherche de toutes les bêtises possibles.  Il est attiré par Luna et se moque sans cesse de Cosmos. Toutes les occasions sont bonnes pour chercher querelle au pierrot lunaire et lui mettre son poing dans la figure.

Et voilà qu’un jour, ou plutôt une nuit d’orage, la foudre s’abat sur l’antenne-relais et coupe toutes les communications pour plusieurs semaines. Finis les réseaux sociaux, finis les likes, les smileys, les photos, les textos, les vidéos. Voilà les Atlantes doublement punis, doublement isolés.
Mais ce serait mal connaître l’énergie dont sont capables les ados pour vivre et communiquer...

Cyrille Pomès réussit un très bel album, créant à merveilles des atmosphères joyeuses ou désespérées, mettant en scène des personnages complexes aux diverses facettes, cachant leur part d’ombre et de mystère sous un masque social. Le scénario est très finement construit, le dessin est expressif, alternant tendresse et violence avec beaucoup de subtilité. La mise en page est intéressante et variée jouant sur la taille et la disposition des cases toujours bien adaptées au déroulement de l’histoire. La mise en couleurs d’Isabelle Merlet joue sur une vaste palette soulignant les émotions, alternant le sombre et le clair, le calme et la tempête, le bleu de l’orage et de la nuit, les bruns des intérieurs et des chambres d’ados, la luminosité des extérieurs à la fin de l’été…

Un beau travail à lire, relire et faire circuler parmi les ados en recherche de lectures qui les concernent et décrivent le monde complexe et saturé d’émotions de toutes sortes où ils évoluent quotidiennement, le rapport aux autres et aux parents, ce qui les unit ou les sépare, ce qu’ils cachent ou veulent montrer, leurs fragilités et leurs hardiesses, et leur dépendance absolue à leur téléphone et aux réseaux. Tout un monde secret et bouillonnant d’énergies contradictoires dans un espace déserté par la foule, où la solitude et le silence ont remplacé l’exubérance estivale. Superbe !

Serge Cabrol 
(09/05/22)